Vieille de près de 4000 ans et découverte par Paul du Chatellier il y a près d’un siècle, la dalle de Saint-Bélec a longtemps été oubliée, stockée dans les sous-sols du château de Saint-Germain-en-Laye en région parisienne. Deux chercheurs livrent les secrets de leur découverte.
C’est à la pointe de la Bretagne dans le Finistère (plus précisément à Leuhan) que l’historien Paul du Chatellier, spécialiste de la préhistoire, découvre en 1900 dans le caveau d’un tumulus de grande taille, une dalle gravée faisant office de paroi au caveau funéraire. Après sa découverte, il la rapporta dans son manoir de Pont-l’Abbé où il possédait un musée privé. C’est après sa mort, en 1911, que l’ensemble de sa collection, dont notre fameuse dalle, est revendu au Musée d’archéologie national de Saint Germain-en-Laye.
Elle y resta pendant plus d’un siècle jusqu’à ce que deux chercheurs, Yvan Pailler (chercheur à l’Inrap) et Clément Nicolas (post-doctorant Marie Curie/Bournemouth University), viennent la déterrer en 2014 dans le but de l’examiner. Interrogés par l'Inrap sur leurs recherches, ils confient les découvertes qu'ils ont faites.
Longue de 2, 20 mètres et large de 1,53 mètre, la carte d’origine ne nous est pas parvenue en totalité. Au moment de la construction du tumulus, elle fut utilisée comme support, mais sans doute était-elle trop grande. C’est pourquoi elle a été cassée afin de remplir sa nouvelle mission. Si Paul de Chatellier a réussi à assembler une grande partie des fragments trouvés dans le tumulus, il en manque tout de même certains.
Devant la dalle de Saint-Bélec dans la cave du château de Saint-Germain-en-Laye. © P. Stephan, Clément Nicolas, Yvan Pailler
À l’origine, il faut noter que l'archéologue ne savait pas vraiment analyser cette pièce : « Décrire ce curieux monument avec ses cupules, ses cercles et ses diverses figurations gravées, dans lesquelles certains voient une représentation humaine informe et celle d’une bête, est chose difficile », indique-t-il.
Ce n’est que dans les années 1990, que Jacques Briard fait un rapprochement entre des parcellaires déjà connus et notre dalle bretonne, émettant l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’une carte.
Bien des années plus tard, les deux chercheurs décident de s'y pencher – et essayent de décrypter cette gravure.
Selon eux, plusieurs éléments prouvent qu’il s’agit d’une carte : on trouve des motifs répétitifs qui sont reliés entre eux par des lignes, formant ainsi un réseau cohérent.
En observant de près la dalle, ils se rendent compte qu’un véritable contraste existait entre les différentes parties : certaines sont très profondes, quand d’autres ont encore leur rugosité d’origine. L’objectif de « restituer le relief d’origine » est assez classique dans les représentations cartographiques de la préhistoire, confie Clément Nicolas.
La carte ayant été trouvée à Leuhan en Bretagne, la première hypothèse de Yvan Pailler et Clément Nicolas a été de chercher des similitudes entre la carte et les reliefs qui entourent le lieu de découverte. Une partie de la carte pourrait notamment correspondre à la région entre le fleuve de l’Odet, les collines de Coadri et les montagnes Noires. Ils ont ainsi pu estimer à 630 km2 le territoire représenté par la carte.
Mais l'hypothèse de la carte émise, encore fallait-il pouvoir le prouver. C’est ainsi qu’ils ont fait appel à une géomaticienne – profession au croisement de la géographie et de l'informatique – pour confirmer les similitudes entre le terrain observé et la carte gravée.
Ce qui a été expérimenté avec la dalle de Saint-Bélec pourrait d’ailleurs servir d’exemple pour d’autres gravures répertoriées comme étant des cartes (celle de Bedolina notamment) : pour certaines, il n’a jamais été prouvé qu’elles représentaient bien un territoire. La méthode utilisée par Clément Nicolas et Yvan Pailler pourrait être une solution.
Comparaison entre la dalle gravée de Saint-Bélec et la topographie du secteur des montagnes Noires niveau du creusement triangulaire (partie centrale gauche de la dalle). MNE : © V. Lacombe et P. Stéphan ;
Après avoir conclu qu’il s’agissait bel et bien d’une carte représentant une partie de la pointe sud de la Bretagne, restait aux chercheurs à deviner qui aurait pu demander une telle gravure. Parce qu'à cette époque, les cartes étaient le plus souvent produites à flanc de montagnes et non sur de la pierre. De plus, les informations y sont très précises : reliefs, cours d’eau…
D’où l’hypothèse que le commanditaire serait une entité politique, affirmant ainsi son pouvoir sur un territoire donné.
De plus, le motif central en forme d’ovale pourrait représenter le lieu du pouvoir. Selon les chercheurs, cette idée est d’autant plus plausible que l’âge de bronze marque l’émergence de petites entités politiques qui ne durent pas longtemps.
La dalle cassée et placée dans le caveau funéraire découvert par Paul de Chatellier est une autre preuve : elle aurait en effet pu être placée là lors d’un changement de modèle politique. « On change de paradigme, d'organisation sociale aux alentours de -1700-1600. C'est sans doute à peu près au même moment que cette dalle a été cassée et réemployée dans un tumulus », explique Clément Nicolas.
Crédit photo : © D. Glicksman, Inrap
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