Le prix Pierre-François Caillé de la traduction 2022 a été décerné vendredi 18 novembre à Éric Reyes Roher pour sa traduction de l’espagnol d’Animaux invisibles, de Gabi Martínez, paru chez Le Pommier. Attribué depuis 1981 par la Société française des traducteurs (SFT) avec le concours de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT), le prix récompense chaque année un traducteur ou une traductrice qui débute dans l’édition (maximum trois ouvrages traduits et publiés au moment de l’appel à candidatures). Ce prix est doté de 3000 €.
Le 22/11/2022 à 12:57 par Hocine Bouhadjera
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22/11/2022 à 12:57
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Le prix a été instauré en mémoire de Pierre-François Caillé (1907- 1979), président d’honneur de la SFT – dont il fut l’un des créateurs – et président fondateur de la Fédération internationale des traducteurs (FIT).
Le jury est composé d’une petite quinzaine de traducteurs professionnels, en exercice ou retraités, dont plusieurs anciens présidents de la SFT et des enseignants en traduction. Ils ont cette année examiné douze livres, traduits de l’hindi, de l’allemand, du biélorusse, du malgache, de l’anglais, de l’italien et de l’ukrainien.
À ce jour, cette distinction a récompensé 39 traductions de 18 langues sources dont l’anglais, l’espagnol, l’italien, mais aussi le turc, le japonais, le russe, le grec, le roumain, le néerlandais, le suédois, l’islandais, le chinois et en 2017, pour la première fois, l’allemand.
« Récompenser un traducteur talentueux en début de carrière dans l’édition, attirer l’attention du grand public sur le métier de traducteur et contribuer à la reconnaissance de celui-ci », voici la triple vocation du prix mis en évidence par Bernhard Lorenz, le président du jury.
Voici le résumé de l'éditeur du texte lauréat :
Le mystère : voilà la grande affaire de ce livre. Mais quel mystère ? Celui qui entoure les êtres que l'on ne voit pas, que l'on n'a jamais vus, mais qui n'en existent pas moins. Grande question : faut-il voir pour croire ? Au cours de l'un de ses voyages, Gabi Martínez entend parler du bec-en-sabot du Nil, un oiseau que, en raison de la destruction progressive de son habitat, plus personne, ou presque, n'aperçoit, mais dont on sait qu'il n'a pas complètement disparu...
Pour Gabi Martínez, c'est le déclic ! Mystérieux, les animaux dont il parle le sont pour trois raisons : soit parce qu'ils sont en voie d'extinction ; soit parce qu'ils sont le fruit de légendes venues d'ailleurs ; soit parce qu'il est impossible de les localiser. D'où les six récits qui forment la trame de ce livre, où le bec-en-sabot, la Grande Barrière de corail et le yéti croisent le moa (Dinornithidé, disparu), le tigre de Corée et le " danta " (sorte de tapir du Venezuela).
En brossant leur portrait, Gabi Martínez met l'accent sur les relations que les populations indigènes entretiennent avec ces animaux, leur façon de s'en occuper, de les tuer aussi, de s'en souvenir parfois. Plus que des récits de voyage : une aventure au coeur même de l'imaginaire des cultures étrangères.
Éric Reyes Roher est né d’une mère française et d’un père mexicain. « Lors de repas de famille, quand les uns ne parlent pas français et les autres pas espagnol, on est amené à traduire les propos, les sous-entendus, les blagues, les jeux de mots. Un exercice qui aide vraiment à maîtriser les finesses d’une langue », confie-t-il.
Une jeunesse à Mexico, des études à Paris, notamment à l’Inalco où il se lance dans l’apprentissage de deux langues mayas. Il s’installe ensuite à Londres, à Barcelone, au Caire, puis dans le sud de la France. Abreuvé de nombreuses richesses linguistiques, il est aujourd’hui capable de traduire de l’espagnol, de l’anglais et du catalan en français, mais aussi vers l’espagnol.
En 2018, après une résidence de dix semaines à la « fabrique des traducteurs » au Collège International des Traducteurs Littéraires à Arles, Éric se voit confier par le Seuil la traduction d’Apprendre à parler avec les plantes, un roman de Marta Orriols. De là, il se lance dans la traduction d’Animaux invisibles, « en évitant une traduction servile, en changeant parfois le rythme mais tout en respectant la phrase baroque de Gabi Martínez ».
Maryvonne Simoneau, membre du jury, témoigne : « Quand on traduit de l’espagnol, il faut souvent élaguer afin d’éviter les redondances. Or cet ouvrage est une traduction superbe. Pas d’irrégularités, aucun manque d’informations, un lexique très abondant preuve d’un travail très documenté, un style riche et respectueux de l’auteur, des descriptions provocatrices d’émotion. » Et d'ajouter : « des bouffées d’émotion » au point de « relire parfois certains passages pour se délecter ».
De gauche à droite : Annabelle Macia (Éditions Le Pommier), Julien Brocard (Éditions Le Pommier), Eric Reyes Roher (lauréat 2022), Freddie Plassard (jurée), Bernhard Lorenz (président du jury du prix Pierre-François Caillé), Sylvie Escat (jurée), Philip Minns (juré), Bruno Chanteau (président de la Société française des traducteurs), Sandrine Détienne (secrétaire générale du prix Pierre-François Caillé), Françoise Wirth (jurée), Agnès Debarge (jurée), Dominique Durand-Fleischer (jurée) et Lucile Gubler (jurée). Prix Pierre-François Caillé de la traduction.
Voici un extrait de la traduction d’Éric Reyes Roher :
Un babouin grimpait le long d’un tronc à 2 mètres seulement. De quelle espèce, parmi les trente recensées ? L’anubis. La nature se manifestait à cet instant dans toute sa diversité luxuriante. Avec ses acajous. Ses mvule. Ses musizi. Ses palmiers. Ses climbers. Ses plantes grimpantes. Ses fougères. Ses cactus comme des obélisques. Des baldaquins ramés qui recouvraient l’humus sous un épais feuilletage à l’abri de troncs freinant les assauts du vent. Des racines comme des éponges pour parer aux inondations.
À cet instant, la pompe végétale produisait l’évapotranspiration qui, dans quelques heures, s’agglutinerait sous forme de nuages délicats. Les plantes digéraient leur juste ration de glucose et d’oxygène. Tout autour s’affairaient des usines forestières à miel, cire, caoutchouc, champignons. Les microorganismes cellulaires se reproduisaient. Ainsi que les agents infectieux. Et les plantes curatives que les autochtones employaient pour combattre le paludisme, la dysenterie, la leucémie, la syphilis par spirochètes.
Sur le bord de la route, trois hommes moissonnaient l’immensité à l’aide de menues faux, dispersant les brins d’herbe. Pourtant, mis à part les humains et les singes, nous ne distinguions aucun autre animal dans le treillage vert, pas même un oiseau. Plus de mille espèces vivent ici, mais là, sous nos yeux, pas l’ombre d’une plume. Pas même un gris du Gabon, ce perroquet si commun. Nous savions qu’il s’y trouvait et qu’il ne craignait pas l’homme. Et pourtant, rien. Pas même un gris du Gabon.
L'édition 2021 avait récompensé Benjamin Pécoud pour sa traduction de l’allemand de l’Enfant lézard de Vincenzo Todisco, paru aux éditions Zoé.
Crédits photo : Société française des traducteurs (SFT) / Prix Pierre-François Caillé de la traduction
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