La Bibliothèque nationale de France, dans le cadre de sa mission patrimoniale, conserve toutes sortes de documents... Mais on n'imaginerait pas forcément y trouver des marionnettes. Et pourtant, le département des Arts du spectacle en protège un certain nombre. En 2019, il a fait l'acquisition d'un ensemble de marionnettes d'un certain Lemercier de Neuville (1830-1918). Avec quelques têtes connues dans le lot.
Né à Laval au sein d'une famille assez modeste, le jeune Louis Lemercier découvre rapidement la capitale, à l'occasion d'un déménagement à Paris dès 1836. Il deviendra un personnage marquant de l'actualité culturelle sous le Second Empire, « autant journaliste qu'homme de théâtre et marionnettiste » explique Jean-Claude Yon, historien du théâtre, professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Lemercier fait preuve assez tôt d'un goût pour l'écriture, qu'il exprime notamment par la poésie. Victor Hugo lui-même, sollicité par le jeune poète de 17 ans, jugera ses vers « jeunes », dotés de « cette grâce pure et noble de votre âge », comme le rapporte le destinataire de ce courrier dans Souvenirs d'un montreur de marionnettes.
En 1854, la première pièce de Lemercier est jouée, et, en 1861, il entre au Figaro. La troisième facette des talents de Lemercier se révèle alors que son fils est alité, selon la légende. Pour occuper ce dernier, son père découpe des caricatures pour en faire de petites marionnettes rudimentaires.
Constatant le plaisir qu'exprime son fils, Lemercier décide de renouveler l'expérience, en créant de petits spectacles mettant en scène les hommes célèbres, pour raconter et parodier l'actualité. Il nomme ses petites marionnettes, de 40 à 50 centimètres de haut, les « pupazzi ». Le 28 novembre 1863, sa première représentation, dans l'atelier du photographe Étienne Carjat, rencontre un certain succès...
Avec ses silhouettes, Lemercier de Neuville se produit « dans les salons autant que dans les salles de spectacle », rappelle Jean-Claude Yon à l'occasion d'une conférence consacrée au marionnettiste. À mesure que sa notoriété grandit, il améliore ses marionnettes, pour en créer de plus grandes, en relief, afin de les rendre visibles même dans de grandes salles.
Parmi les « grands hommes » devenus pantins pour les besoins des spectacles de Lemercier de Neuville, des politiques, comme Léon Gambetta ou William Waddington, des artistes, Gioachino Rossini, Jacques Offenbach, Armand Leleux ou encore Frédérick Lemaître, et bien sûr des hommes de lettres, dont Alexandre Dumas, Honoré de Balzac ou encore Victor Hugo...
Victor Hugo vu par Lemercier de Neuville. BnF, département des Arts du spectacle
Lemercier de Neuville écrit de véritables petites pièces, mettant en scène d'autres personnages, fictifs. Il fait même bien plus, en véritable homme à tout faire : il est auteur, acteur, chanteur, danseur, imitateur, peintre ou encore décorateur...
Consécration et preuve du succès de ses créations, le 31 janvier 1870, on commande à Lemercier de Neuville une représentation aux Tuileries, devant l'Empereur, l'Impératrice et leurs enfants, quelques mois avant la fin du Second Empire.
Lemercier de Neuville met fin à sa carrière lui-même en 1893 : il aura donné 1676 représentations au cours de sa carrière, dans 153 villes. Il lègue ses marionnettes à Gaston Cony, fondateur du Guignol des Buttes-Chaumont. Le fils de celui-ci a proposé à la BnF, en 2019, l'acquisition de cet héritage atypique.
Sur les 204 silhouettes fabriquées, 106 ont été récupérées, et 48 têtes, sur les 146.
Il est possible d'en apprendre plus sur Lemercier de Neuville et ses créations ci-dessous, dans la captation d'une conférence donnée par Jean-Claude Yon et Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle de la BnF.
Photographie : Lemercier de Nerville entouré d'hommes de lettres, lithographie (Maison de Balzac, domaine public)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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