Dans un petit bois des Yvelines, les arbres arborent des aphorismes sur leur écorce. À plusieurs mètres du sol, presque invisibles pour l’oeil du promeneur, sont gravés les mots d’Éric Chevillard. Porté par les éditions du Bois de Fil, ce projet s’inscrit dans le mouvement du vivant. Éphémère et poétique, cette édition des écrits du poète est destinée à disparaître sous les cicatrisations de sèves successives de la forêt.
Le 16/04/2021 à 17:04 par Gariépy Raphaël
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Publié le :
16/04/2021 à 17:04
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À l’origine de cette ambitieuse idée, on trouve l'artiste plasticien et performeur Pierre Gautreau. Depuis 5 ans il s’est lancé dans plusieurs projets artistiques et tient notamment une galerie d’art un peu particulière : La Galerie qui n’Existait (Presque) Pas.
Loin des murs blancs et des conversations feutrées du 5e arrondissement de Paris, la galerie expose des artistes en forêt. Les installations se veulent nomades et furtives, comme nous l’explique Gautreau : « On change d’endroit à chaque fois, l’idée c’est de ne pas laisser de traces, de ne pas marquer le lieu dans lequel on est. »
Au fil des expositions successives, à force de côtoyer l’art et les arbres, surgit alors l’idée de créer un livre un peu particulier. Invisible et éphémère, l’ouvrage serait dans un premier temps gravé sur l’écorce des arbres. Une fois enfoncés de quelques millimètres dans la profondeur du bois, les mots seront ensuite tirés sur papier par xylographie. En apposant de l’encre sur l’arbre puis sur le papier, l’éditeur arboricole propose ainsi un grain unique, « Chaque arbre a sa signature ».
L’idée trouvée, plusieurs défis attendaient l'artiste. Tout d’abord le choix du texte, qui ne doit pas, on le comprend aisément, être trop long. Gautreau finira par contacter le poète Éric Chevillard, dont il apprécie l’humour mâtiné de gravité.
Publié notamment aux éditions de Minuit l’écrivain s’astreint également à des billets littéraires quotidiens qu’il publie sur son blog, L’Autofictif. Ce journal fait d’éclats poétiques, d’une dizaine de lignes environ, contient en son sein des centaines, voire des milliers d’aphorismes et de fragments d’idée… Parfait pour une édition sauvage donc.
Chevillard se révélera directement enthousiasmé par l’idée, proposant une sélection de billets portant sur les animaux. 40 pensées issues de ce bestiaire chevillardien seront finalement sélectionnées, réunis dans un ouvrage intitulé Mais déjà les fourmis.
EDITION : une journée pour cerner les enjeux de l'écologie du livre
« Je suis très reconnaissant à Chevillard d’avoir accepté sans me connaître vraiment. Quand je lui ai proposé j’avoue que je ne maîtrisais pas l’ensemble des outils techniques nécessaires à la réalisation du projet », sourit Gautreau. « Le fait qu’il ait dit oui aussi vite m’a forcé à passer à la suite. »
Rapidement, l’éditeur conviendra de produire un premier tirage de 130 exemplaires, aujourd’hui pratiquement tous vendus en pré-commande, et se mettra au travail. L’idée est donc de graver des mots sur des arbres, sans les endommager, puis imprimer ces mêmes mots sur du papier, qui formeront l’une des pages du livre.
« La pièce centrale c’est un mini graveur laser, qui permet d’écrire sur les troncs, c’est une sorte d’imprimante, qui au lieu d’imprimer de l’encre, grave une matrice à la Gutemberg sur l'écorce. » Pour ensuite récupérer ce texte, Pierre Gautreau enroule un rouleau enduit d’encre autour du tronc, avant de presser le papier sur la surface.
Chaque arbre porte la matrice d'une page qui doit être reproduite 130 fois. L’éditeur passe donc un temps conséquent — en moyenne 3 heures par arbre — assis sur une branche et et encordé à 20 mètres de hauteur, à reproduire encore et encore la même opération.
Surtout que, pour que les éclats poétiques restent à l’abri de la malveillance des promeneurs, l’enseignant a choisi de graver les mots au plus proches de la cime. « Les deux choses qu’on me demande le plus quand je parle du projet c’est : comment les arbres vont se remettre et comment je fais pour aller aux toilettes quand je suis perché sur une branche. »
Au cœur du projet des éditions du Bois de Fil on trouve le respect du vivant. En contact avec des écologues Pierre Gautreau, qui est également enseignant-chercheur en géographie à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, s’est assuré de ne nuire ni à la faune ni à la flore en gravant ces mots. Les mouvements de la forêt font d’ailleurs entièrement partie du projet éditorial.
« Une partie des pages que je vais tirer seront faites en atelier, sur des planches découpées et qui ne vont donc pas bouger. De son côté, la forêt va continuer d’évoluer et la cicatrisation des arbres va se faire », explique-t-il. « J’ai commencé il y a 15 jours à imprimer le bouquin et les pins ont déjà réagi par une production massive de sève. L’histoire sera très chouette à raconter dans deux ou trois ans quand on pourra voir les mots qui s’effacent petit à petit. »
Avec cette idée, l’éditeur ne souhaite pas réellement proposer un art poétique écologique : « Ce qui me plaît vraiment dans ce que je fais c’est de raconter des histoires. J’aime bien à partir d’objets provoquer des questions, des interrogations. L’idée centrale du projet est de voir combien de temps la forêt va se nourrir de l’œuvre d'Eric Chevillard. »
Pour les curieux qui souhaiteraient voir ce travail d’un peu plus près, Gautreau propose le 4 juillet prochain une séance publique de tirage en forêt. Une manière originale de se connecter directement avec un livre. Pour plus d'information sur l'édition de Mais déjà les fourmis, rendez-vous à cette adresse.
Crédit photo : Pierre Gautreau
4 Commentaires
Jujube
17/04/2021 à 04:43
Ce projet est bien foufou. Foutez la paix aux arbres, vous ont rien fait!
Lily
17/04/2021 à 10:31
Comme la glycine de Montmartre de 120 ans sauvagement tronçonnée, de même que son copain le marronnier, un jeune arbre si beau au printemps. "Les arbres sont les poumons de la terre" Tal Coat.
Agnès Lenoire
18/04/2021 à 17:39
N' est-il pas venu à l'idée à ces gens que si l'arbre cicatrise, c'est qu'il a été blessé ? Comme pour nous, se remettre d'une blessure lui prend de l'énergie, donc le fragilise. Comme dit Jujube, "foutez la paix aux arbres".
Estelle Ogier
24/06/2021 à 16:04
Hâte de recevoir les livres ! Belle aventure !