Poésie et pauvreté, une image largement entretenue depuis le romantisme (si ce n'est avant), veut que l'une n'aille pas sans l'autre… Si l'Occident semble se complaire dans cette idée, cela ne semble pas être l'avis des Émirats Arabes Unis. En effet, la BBC rapporte que poète Salim al-Mansuri vient de gagner 5 millions de dirhams (environ 960 000 €) au jeu télévisé le plus populaire des pays du Golf : le Million's Poet.
Le plateau de Million's Poet (capture d'écran)
Depuis février, ce sont près de 70 millions de téléspectateurs qui ont suivi la sixième édition du jeu, la famille royale elle-même ne dédaignant pas d'y assister de temps à autre… Organisé dans le théâtre Al Raha Beach d'Abu Dhabi, il met en scène une série de poètes, récitant leur vers en tenue traditionnelle devant un jury. Omanais, Saoudiens, Émiratis, Qataris… Les concurrents sont éliminés au fur et à mesure selon les décisions du jury, qui récompense à terme les cinq meilleurs poètes d'une somme comprise entre 1 et 5 millions de dirhams.
Interrogés par la BBC, plusieurs poètes occidentaux n'ont pas manqué de froncer les sourcils. « Normalement, la poésie semble à l'opposé du show-business, et nous préférons que nos poètes n'accèdent pas à la notoriété de cette manière », a déclaré Don Share, éditeur et poète basé à Chicago, ajoutant que « l'argent contient l'inverse des valeurs que nous cherchons dans la poésie, la littérature, et l'art »… Même si celui-ci convient que la richesse des autres artistes comme les chanteurs ou les acteurs passe aisément pour admise. Pourquoi pas celle des poètes alors ?
« Je crois que c'est l'idée que la vérité se trouve près de la tristesse, près de la pauvreté, près de l'alcool. Près de l'argent, non », explique Tsead Bruinja, un poète néerlandais. Celui-ci, comme nombre de poètes, avoue cependant être loin de vivre uniquement de la poésie : ateliers d'écriture, commissions spéciales, articles de presse, et subventions du gouvernement sont de mise. Car les revenus dus à ses recueils sont négligeables - à peine deux cents euros par an, confie-t-il.
« L'argent résout bien des problèmes, mais il ne vous empêchera pas de résister à un traumatisme émotionnel, ni de souffrir d'une perte », relativise Judith Palmar, directrice de la Poetry Society... « Il n'y a pas d'argent à tirer de la poésie, mais il n'y a pas de poésie à tirer de l'argent non plus », écrivait quant à lui l'écrivain anglais Robert Graves. C'est à ce canon que les Émirats semblent déplaire en somme.
Mais si l'argent n'est certes pas poétique, il serait malgré tout le symptôme d'un peu plus de déférence à l'égard des poètes. La Fontaine lui-même ne pointait-il pas déjà ce problème ? Mais la fourmi n'a jamais été bien prêteuse… Plusieurs n'ont pas hésité à voir dans le jeu une sorte d'héritage de la tradition du mécénat. D'Athènes aux jeux floraux du Moyen-Age, les concours de poésie ne sont pas vraiment une nouveauté. Et quand on regarde les mille manières de gagner de l'argent que propose notre téléréalité, on se dit que ce n'est peut-être pas si mal, après tout, que de gagner un million pour un poème.
1 Commentaire
ASS. LES POETES DE L'AMITIE stephen BLANCHARD
16/03/2021 à 10:28
j'ai bien aimé l'article de Louis Mallié sur les jeux et la poésie étant moi même auteur de 26 recueils et directeur d'une revue de poésie. Bien évidemment le concept du jeu m'horripile les neurones car je préfère les valeurs de l'âme que du fric ! Mais comme disent les philosophes, c'est un concept !
puis-je insérer cet article dans ma revue de poésie tenue par des bénévoles ! Merci de me donner rapidement une réponse car la maquette est en cours, nous citerons les sources. Bon courage en attendant
CORONAVIRUS
Nous voilà confinés, face à l’épidémie,
Le virus se répand, il faudra patienter,
Nous n’avons plus le temps de tout argumenter,
Les français sont touchés, c’est une pandémie.
Chacun panique à bord, la porte refermée,
La guerre est déclarée en absence de choix,
L’amour est en danger quand l’horizon sans voix
Nous prive de l’espoir d’une visite aimée.
Je regarde la vie en perte de lien,
À l’heure où vont s’enfuir les ailes de mes rêves,
Le vide et l’abandon sont de mortelles sèves
Me transperçant le cœur d’un doute kafkaïen.
Mais l’homme tend ses bras vers la belle espérance,
La solidarité sur un même chemin,
Car le devoir l’appelle à se faire devin
Pour sauver notre monde aux jardins de l’errance.
Stephen BLANCHARD (Dijon)
aeropageblanchard@gmail.com