C’est la consécration pour l’auteur Mark Greene qui, précisément 20 ans après avoir publié son premier livre, remporte le prestigieux Prix Jean Freustié, et la belle dotation de 25.000 € qui l’accompagne. « Je crois même que c’était en mars 2004 », nous confie l’écrivain, qui raconte dans le récit lauréat, Réel Madrid, l’Espagne de sa jeunesse, celle de Franco, Jeannette et Alfredo di Stefano, lui, le fils d'une aventurière française et d'un Américain qui participa au Débarquement.
Le 21/03/2024 à 14:17 par Hocine Bouhadjera
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À l’occasion de la cérémonie de remise du prix, dans les salons de l’Hôtel Pont Royal, Mark Greene - à ne pas confondre avec le personnage de la série Urgences -, nous confie sobrement : « Je suis très content d’être là, un peu surpris. Ça marque un parcours. »
Son texte, publié chez Plein Jour, évoque Madrid entre, grosso modo, la période 1965-1985, qui marque la fin du franquisme et la transition démocratique de l'Espagne : « Un livre qui parle de ma jeunesse, de l'Espagne, de la politique, de mes parents, et d’un quartier un peu particulier de Madrid où nous habitions, Costa Fleming. Un quartier paradoxalement très décontracté, alors qu’on était sous Franco. On l’appelait comme ça, car on avait un jour demandé à un journaliste : "Où est-ce que tu pars en vacances ? Sur la Costa Brava, la Costa del Sol ?" Et il avait répondu : "Sur la Costa Fleming", du nom de la rue principale du quartier. Beaucoup de cafés, pas mal d’étrangers - Américains, Français.., des artistes… mais pas de mer du tout ! »
Dans ce quartier bohème et cosmopolite, proche du stade Santiago Bernabéu, d'où le titre, le jeune Mark Greene croise l'interprète de Porque te vas, Jeanette, l'écrivain Francisco Umbral, ou encore le légendaire footballeur Alfredo Di Stefano. Clint Eastwood lui-même y résida lors du tournage des westerns de Sergio Leone.
C'est l'époque où Madrid devint un hub culturel accueillant des figures comme Orson Welles, Buñuel, et Ava Gardner, symbolisant une liberté et une exubérance rare. Un environnement qui a inspiré l'auteur à écrire sur les paradoxes, charmes, et tragédies de l'Espagne, mêlant réalité et réinterprétation poétique. Tout en étant un vibrant hommage à Madrid et à la jeunesse, cette œuvre se distingue par son insolence discrète, son humour, et une profonde nostalgie, offrant un portrait coloré et tendre de cette époque révolue, décrit le juré du Prix Freustié, l'auteur Christian Authier.
Le 37e Prix Jean Freustié a été attribué à Mark Greene à la majorité absolue au premier tour de scrutin, a précisé Simonetta Greggio, présidente du jury, entourée des jurés : Christian Authier, Dominique Barbéris, Franck Maubert, Olivier Mony, Henri-Hugues Lejeune, Anthony Palou, Éric Neuhoff, Yann Queffélec et Philippe Vilain lors de la réception dans les salons de l’Hôtel Pont Royal.
Dans son discours d’acceptation du prix, outre de rendre hommage « aux personnes essentielles », ses éditeurs de Plein Jour Sibylle Grimbert et Florent Georgesco, Mark Greene a partagé son inquiétude au sujet de l'avenir du journalisme littéraire.
Un métier qu'il constate exigeant et souvent peu rémunéré, et qui lui semble menacé dans un monde où le temps est une denrée rare et les espaces dédiés à la littérature dans les médias se réduisent : « Ce rôle me paraît crucial et va bien au-delà de l’information. Les journalistes littéraires ne sont pas des relais d’information. Ils prolongent les œuvres. D’une certaine façon, les transforment, les enrichissent, leur insufflent une vie dans une forme de circulation des œuvres. S’ils ne sont pas là, ou moins là à l’avenir, je crains que nous ayons affaire à des textes plus secs, plus prévisibles, moins innervés, plus passagers. À des livres en somme moins habités. Merci beaucoup. »
Réel Madrid est le 9e ouvrage de l’écrivain franco-américain né à Madrid.
Pour célébrer le 110ème anniversaire de la naissance de Jean Freustié, Yann Queffélec a rendu un hommage plein d'humour et d'esprit à l'écrivain qui donne son nom à la récompense littéraire. Le lauréat du Prix Goncourt 1985 avait côtoyé le récipiendaire du Prix Renaudot 1970 durant les années 70 au Nouvel Observateur. « Comment j'ai fait personnellement pour me glisser dans cette bande d’intellos triés sur le volet ? Mystère et boule de gomme… »
« Il faut évidemment se représenter ce qu'était le Nouvel Obs dans les années soixante-dix : le chic de la gauche caviar et kashmir », poursuit le juré, évoquant ensuite avec affection Jean Freustié ainsi que son camarade Jean Daniel, tous deux célèbres pour leur gabardine mastic rappelant celle d'Albert Camus, figure iconique du journal.
Il se remémore les conférences de rédaction, animées par des personnalités telles que Jean-Paul Enthoven, BHL, André Glucksmann, Mona Ozouf, et Jean Freustié, « qui ne la ramène jamais, mais lorsqu'il parle, se révèle un disciple de Paul Nizan. Un socialiste sur la défensive, qui a toujours une parole astucieuse pour contrer les choses qui sont trop bien en place. Il y avait dans sa voix cette petite note de la politesse du désespoir. La marque des anciens alcooliques ou drogués, ce qui n'empêche pas qu'il avait de l'humour. »
Jean-Pierre Teurlay, plus largement connu sous son pseudonyme Jean Freustié, fit ses débuts dans le monde littéraire avec la publication de son premier roman, Ne délivrer que sur ordonnance, en 1952 chez les Éditions de la Table ronde. L'habitué du Procope, lieu de rencontre pour les écrivains fondé par Jacques Brenner et Claude Perdriel, se lie avec des figures comme Paul Morand, Jean Cocteau ou Eugène Ionesco.
En 1961, il rejoint l'équipe de France Observateur en tant que critique littéraire, une position qu'il maintiendra au Nouvel Observateur dès 1964, tout en occupant le rôle de conseiller littéraire pour les éditions Denoël. Son talent est récompensé par plusieurs distinctions, dont le Prix Roger-Nimier en 1963 pour La Passerelle et le Prix Renaudot en 1970 pour Isabelle ou l'Arrière-saison. Parmi ses autres œuvres notables, on peut citer L'Héritage du vent, « un mal qui fait du bien » résume Yann Queffélec, édité en 1979. Il meurt peu après la publication de L'Entracte algérien en 1982.
Initié en 1987 par Nicole Chardaire-Vitoux, Frédéric Vitoux, et Bernard Frank, ce prix a vu le jour grâce à l’engagement de son épouse, Christiane Teurlay-Freustié, et d’un jury composé de romanciers, de journalistes littéraires et d’amis proches de Freustié, afin de perpétuer son souvenir. En 1996, Christiane Teurlay-Freustié, qui nous a quittés en 2010, a établi la Fondation Prix Jean Freustié sous l’aile de la Fondation de France pour garantir la pérennité du prix.
La Fondation, avec Pia Daix en tant que secrétaire générale du jury, veille scrupuleusement au respect des volontés de sa fondatrice et à la préservation de l’œuvre de Jean Freustié. Le prix est remarquable pour son généreux montant de 25.000 €, ce qui en fait l’une des récompenses les mieux dotées en France.
Destiné à récompenser un auteur francophone pour son œuvre en prose (que ce soit un roman, un recueil de nouvelles, une autobiographie ou un essai), le Prix Jean Freustié a pour objectif de valoriser un talent émergent ou de récompenser un écrivain méritant qui n’a pas encore été honoré par les principaux prix littéraires d’automne. Il s’inscrit dans une lignée qui privilégie une introspection perspicace, fidèle à l’esprit de Jean Freustié.
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Pour l’édition 2023, c’est Maud Simonnot qui avait été récompensée pour son roman L’Heure des oiseaux, publié aux Éditions de L’Observatoire.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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Paru le 15/09/2023
166 pages
Plein Jour
16,00 €
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