Vous ressentez une pointe de culpabilité en posant les yeux sur votre pile à lire, et cet ouvrage qui vous résiste, encore et encore. Procrastinez sans honte, en pensant qu'un club de lecture originaire de Los Angeles a fait durer sa lecture de Finnegans Wake, de James Joyce, 28 années...
Finnegans Wake, paru en 1939. à Londres, est un texte qui impressionne autant qu'il effraie. Considéré comme un monument de la littérature du XXe siècle, il n'en est pas assez peu lu dans son intégralité, en raison de sa difficulté d'accès. L'ouvrage, qui a demandé de longues années de travail à son auteur, James Joyce, expérimente à tout-va, se joue de la langue anglaise en y mêlant d'autres idiomes.
En somme, un livre déroutant, auquel il est nécessaire d'accorder toute son attention et du temps. Soit le programme fixé par le cinéaste Gerry Fialka en 1995, lorsqu'il fonde un club de lecture au sein de la bibliothèque publique de Los Angeles.
Un groupe en apparence banal, mais à l'objectif particulier : lire Finnegans Wake en avançant à petits pas. « Nous lisons une page, puis nous en parlons pendant deux heures », résume l'artisan de cette expérience folle, entre le commentaire de texte et la performance.
S'il explique n'avoir pas du tout prémédité le seul objet de son club de lecture, à sa création dans les années 1990, Fialka a depuis observé que son approche était particulièrement adaptée au livre de Joyce. « Sa dernière phrase s'arrête brusquement, pour reprendre au début du livre. Il s'agit donc d'une phrase-fleuve, qui devient souterraine page 628, pour finalement reparaitre page 3. »
Avec la pandémie de Covid-19, les rendez-vous à la bibliothèque se sont changés en visioconférences par Zoom, ce qui n'a pas entamé la détermination des participants. Et Gerry Fialka y a trouvé son compte, expliquant : « [N]ous sommes tous vieux maintenant, [avec la visio] nous n'avons plus à nous garer, plus besoin de préparer la salle. En gros, ça faisait 40 ans que j'alignais des chaises pour les événements que j'organise. J'en ai un peu marre », confie-t-il à l'Orange County Register.
À LIRE - C'est prouvé : des livres derrière vous, en visio, ça fait mieux
Concernant l'étude du livre elle-même, Fialka la compare à un « plongeon ». Peter Coogan, qui participe régulièrement aux réunions depuis 2002, salue l'initiative en ce qu'elle fait écho aux volontés de Joyce lui-même. « De nombreux spécialistes expliquent que l'intention de Joyce n'était pas de proposer aux lecteurs une expérience linéaire, ni de leur raconter un récit clos, mais de leur faire vivre les sensations de la désorientation, comme les personnages qui font un rêve », souligne-t-il.
Le chef d'orchestre du club de lecture remarque quant à lui que l'œuvre s'impose comme une véritable « mosaïque », où différentes pièces sont repérées et assemblées par chaque lecteur et lectrice.
La dernière page du livre a été étudiée par le club de lecture ce mardi 3 octobre. Mais refermer le livre n'est pas encore au programme : « Nous n'avons jamais terminé. Le mois prochain, nous nous retrouverons. Nous lirons la page 3, de nouveau. »
Photographie : buste de James Joyce à Dublin, en Irlande (illustration, William Murphy, CC BY-SA 2.0)
Paru le 13/05/1997
924 pages
Editions Gallimard
13,70 €
Commenter cet article