#Lectureetlittoral - Lors d'un périple de 5000 km le long de la côte atlantique, Marc Roger, le narrateur itinérant, envisage de parcourir 555 communes en douze mois, sillonnant 16 territoires. Mais ce n'est pas tout ! À chaque halte, il partage ses ouvrages de prédilection et endosse le rôle de défenseur de l'environnement, collectant 3 kg d'ordures. Qui prétend que culture et préservation de la nature sont incompatibles ? (Suivre Marc Roger sur Instagram)
Le 11/09/2023 à 12:47 par Marc Roger
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Publié le :
11/09/2023 à 12:47
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Au creux de mes épaules depuis quelques semaines, un sentiment de nostalgie se love sans rien dire du temps passé À la limite… entre Lecture et Littoral. Un sentiment comptable d’abandons infimes, de pertes successives devant tant d’horizons, de paysages et de rencontres, mais qui demeure plein du désir jamais tari d’aller plus loin gagner le ravissement de la poitrine aux portes de l’automne.
Sur le chemin, le gland du chêne tombe. Il craque sous la semelle. Le péricarpe lâche sa note aiguë suivie d’une seconde ronde et sourde quand la graine charnue s’écrase. J’aime savoir que le geai en fait de grandes réserves pour l’hiver. Je me réjouis de son bonheur à remplir son jabot. Du pied des chênes à ses nombreuses cachettes où il engrange ses récoltes, il fait l’aller-retour, jette du bleu parmi les feuilles et au passage, il frigulote.
L’île de Groix n’est plus qu’un trait à l’horizon.
Sur la façade ouest de la presqu’île de Quiberon dite Côte Sauvage, une barrière de cuir gris pachyderme, de falaises déchiquetées, hachurées, minées de grottes colossales, hautes et profondes, résiste à l’océan. Quand le plafond d’une caverne finit par lâcher prise, une cheminée rejoint le ciel et fait jaillir la mer en un geyser d’écume blanche vingt ou trente mètres derrière le trait de côte où fanent les œillets. L’arène granitique sur laquelle ils dispersent leurs graines ira bientôt rejoindre le sable au bas de la falaise.
Arc-boutée sur son socle, la presqu’île protège la baie de Quiberon. Un contraste frappant d’une façade à l’autre, du passage d’un combat permanent à ce doux relâchement de la mer sur les plages qui s’ouvrent vers l’est. Dans cette courbe orientée vers le soleil levant, les plaisanciers naviguent au calme, virgules blanches au ras de l’eau, mettent le cap sur Belle-Île, Hœdic et Houat, revivent à leur mesure la joie des grands explorateurs à l’atterrage d’une terra incognita.
Le soir, soleil couchant, ils font escale dans de paisibles marinas qui mêlent le tintement des glaçons contre les parois des seaux à glace au cliquetis des drisses sur les mâts. Propriétaire, ici, d’un emplacement sur l’eau ou d’une villa en bord de mer, relève d’un minimum de savoir-vivre.
À grand renfort de pontons interdits au public, de haies, de murs infranchissables et de caméras de surveillance, ils se défendent du tourisme trivial en toiles de tentes et caravanes ou camping-cars devenus eux-mêmes de véritables forteresses.
Lorsque la simple servitude de passage due au domaine collectif est reléguée à l’arrière de ces décors de rêve, le piéton passe son chemin comme il peut entre grillages, landes sauvages et terrains vagues. À marée haute, par forts coefficients, la mer au pied de leurs jardins vous oblige à quitter vos chaussures et le flot vous caresse les chevilles. La liberté devient totale.
Parfois, je marche sur un miroir dont je ne peux franchir le sable, il brille d’un jusant déjà vieux de six heures, ruisselant d’une fine pellicule d’eau dans laquelle se reflète une voile de kitesurf. Elle est rouge sur une plage d’argent. Au reflet, les nuages descendent, boivent l’eau de la mer.
Sans en être certain, ce matin, j’ai cru voir une fata Morgana.
Entre l’île de Hœdic et la pointe du Croisic, une barre d’immeubles vibre au loin dans la brume, sans amers, ni coupoles, un code-barres, linéaire, une vision, un mirage, une illusion d’optique physiquement explicable que l’on aime détourner du domaine rationnel vers l’image des palais que Morgane la fée, la fata Morgana, érigeait sur la mer dans le détroit de Messine pour tromper les croisés des légendes arthuriennes.
Ici, tout est possible.
Mégalithes, alignements, tumulus. Barbecues et pelouses s’organisent au milieu des menhirs. Disneyland à Carnac. La ronde des bus sans toit croise les petits trains bondés de passagers. On les retrouve devant des crêpes cromlech, l’œuf miroir au centre de tomates cerises en cercle, devant des glaces de chocolat liégeois croulant sous des menhirs de chantilly. On fait ses courses au Super U des pierres levées. On est gaulois, on devient celte. Nos cartes bleues s’alignent sur les miroirs des satellites d’Elon Musk. Vive le néolithique !
Le ciel s’éteint. Il pleut.
Par le bassin versant des feuilles, par les fougères, les herbes et les thalwegs, l’eau marche vers la mer dans un silence que les oiseaux sertissent. Je me lèche les lèvres, désaltère ma langue. Leur chant coule jusqu’au fond de ma gorge. Un crabe vert a raté la marée descendante. Sur le sol sablonneux, il frôle une araignée.
Le chemin bouge sur des milliers de pattes.
Dans le port du Bono, tout est calme. Une grue élévatrice de bateaux, à l’arrêt, barre le ciel de sa flèche. Elle est jaune safran. Son câble pend et son crochet balance au vent sans bruit. Trois annexes à moteur Mercury noir ébène, accueillent chacune une sterne pierregarin, calotte du même noir, bec orange, ventre blanc, ailes opaline, grises. Sous la pluie, ça discute. À trente mètres au-dessus de leurs têtes, une quatre voies à vitesse irréelle, relie les rives de l’estuaire.
Tout est peinture sur le motif, aux antipodes du travail abstrait de Geneviève Asse, mais à laquelle pourtant je pense. L’artiste-peintre originaire de Vannes, élevée un temps par sa grand-mère dans la presqu’île de Rhuys, puis partagée à la fin de sa vie entre l’île Saint-Louis et l’île aux Moines, m’impose sa réflexion sur les espaces et le graphisme, sur les couleurs du golfe.
Au mois de décembre de l’année dernière, le Musée des Beaux Arts de Vannes m’invita à honorer son œuvre et notamment les toiles sur lesquelles elle explorait le mariage de l’eau et du ciel dans des lumières continuellement changeantes. Elle était parvenue à créer un bleu Asse, infini et immense, un curseur chromatique à son œuvre dans laquelle y plongeant un instant, vous êtes libre d’y trouver ou d’y perdre votre âme ; et j’étais minuscule au pied de chacune de ses toiles, lisant Marie Le Franc, autrice née à Sarzeau, dont chaque page me semblait faire écho au résultat abstrait des paysages qu’avait peints Geneviève Asse.
« Le bleu est un appel. Un sentiment de profondeur et d’espérance. Un langage. Avec mon bleu, je franchis les formats, je gagne une dimension plus vaste. La couleur a un rythme qui m’entraîne. Je peins entre les choses. L’air possède une couleur. Bleu : il prend tout ce qui passe. »
Notes par deux de Geneviève Asse — éditions Jannik, 2003
Propos auxquels je répondais par ceux de Marie Le Franc.
« On s’en va parallèlement à la mer, plus loin qu’elle, semble-t-il, vers le destin. On la continue là où elle n’existe pas. On allonge un sillon commencé par elle. Son aventure n’aurait pas de conclusion sans la nôtre. Elle vient sur nos pas pour voir où nous en sommes. Elle s’appuie un instant contre nous avant de se retirer. On devient une ligne aussi longue, aussi puissante que la mer, détachée d’elle, opposée, dont elle n’est que le point de départ. On se sent une résistance égale, équilibrée à la sienne. L’univers se résume en cet angle magnifique : la mer et soi. »
Pêcheurs du Morbihan de Marie Le Franc – LIV’ÉDITIONS
Peindre, écrire, transformer le réel, être en quête d’une forme pour traduire la beauté de l’espace, de la lumière sur la terre, dans le ciel et sur l’eau, tel que s’offre le golfe en mouvement perpétuel, et soudain, l’impression de marcher dans un livre escorté de la cimaise des îles où s’accroche la mer.
N’être plus qu’une offrande et trouver à l’étape des libraires disponibles à l’échange. La Dame Blanche à Port-Louis, Vent de Soleil à Auray, Le Silence de la mer à Vannes, disponibles pour mettre à l’honneur sur une table au milieu de la rentrée littéraire, des auteurs oubliés ou des livres parus il y a vingt ou trente ans, de ces perles qui composent le programme à la carte que je propose au public par une feuille distribuée dans la salle.
Une cliente intriguée par le titre, me demande de lui lire
Le sein nu in Palomar d’Italo Calvino
traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Seuil 1985
J’y consens avec tout le plaisir qu’Italo Calvino, j’en suis sûr, éprouvât à écrire ce bijou de malice.
Depuis huit mois que dure cette aventure, à chaque rencontre, mon énergie s’accroît du rêve accumulé des uns, des unes, et autres à me savoir sur les chemins À la limite…
Crédits photo : Cote Sauvage de Quiberon - Marc Roger / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Lecture et Littoral : une année de lectures à travers 5000 km de rencontres
1 Commentaire
Janine LE LAGADEC
24/09/2023 à 09:54
Pornichet hier. Pour moi c'était ma limite ... après trop de route et conduire la nuit devient difficile.
Un grand merci pour ces lectures. Vous sublimez les textes, vous en retirez la substantifique moelle.
Vous nous faîtes savourer des perles, des livres un peu oubliés.
Vous avez pris une photo de Berder qui me ravit. Je suis née à Larmor-Baden, en bordure de mer et pour mes balades Berder est ma perle.
Merci pour tout et j'attends le livre qui sortira de ce périple.