Evgueni Prigojine est mort dans l’écrasement d’un avion qui reliait Moscou et Saint-Pétersbourg. On en saura bientôt plus : Vladimir Poutine promet qu’une enquête sera « menée jusqu’au bout » sur les circonstances de l’accident... En attendant, c’est l’occasion de revenir sur le parcours d'un homme qui vécut mille vies : la délinquance et la prison, avant de devenir le restaurateur préféré de Vladimir Poutine, créateur d’usines à trolls, chef du tristement célèbre groupe de mercenaires russes Wagner, et auteur jeunesse...
Le 25/08/2023 à 12:10 par Hocine Bouhadjera
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25/08/2023 à 12:10
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Cet ouvrage à destination des enfants, Indraguzik, raconte l’histoire d’un garçon installé avec sa famille à l’intérieur d’un immense lustre de théâtre... Le tout petit Indraguzik tombe un jour du lustre : son objectif est alors de retrouver son nid brillant...
Au cours de son aventure vers le retour au foyer, Indraguzik, croise plusieurs personnages. Il finit dans « La grande ville », où il se lie d’amitié avec un jeune humain, « Grand Indraguzik », qui aide son alter ego miniature à trouver un ballon avec lequel il pourra retourner jusqu’à son lustre.
On apprend par la suite que le lustre est capable d’agrandir les petites personnes à la taille humaine. Indraguzik et ses camarades décident par la suite de se rendre dans leur pays natal d’Indroguzia, où ils rencontrent le roi, qui souhaite devenir plus fort. Indraguzik et ses amis utilisent le lustre pour l’agrandir, mais font un mauvais calcul : il se transforme en géant...
Plus précisément, le livre est signé des deux enfants d’Evgueni Prigojine, Polina et Pavel, mais dans la préface de l’ouvrage jeunesse, il est indiqué que l’histoire est le fruit d’une collaboration entre les enfants et leur paternel. Polina et Pavel ont suggéré les noms des personnages, et ont persuadé leur père « d’inventer une histoire sur un petit garçon nommé Indraguzik et sa sœur Indraguza ». Plus, il est affirmé que les illustrations de ce livre de 90 pages ont été réalisées par Evgueni Prigojine.
Auprès de Delovoy Petersburg en 2003, année de parution de Indraguzik, il déclarait avoir sorti ce livre pour le dixième anniversaire de sa fille, lui offrant une œuvre dont elle serait co-auteure.
À l’intérieur de la couverture, l’ouvrage contient même une photo d’Evgueni souriant, avec ses deux enfants et leur mère, Lyubov Prigojina. Avant sa mort, Prigojine avait expliqué que son fils Pavel s’était battu pour Wagner en Syrie et dans l’est de l’Ukraine. Sa fille Polina, de trois ans son aînée, serait propriétaire d’un hôtel de luxe à Saint-Pétersbourg.
Une œuvre qui resta des plus confidentielles, ayant été tirée à seulement 1000 exemplaires. Le Moscow Times, qui a récemment pu acquérir une copie, émet l’hypothèse qu’Indraguzik n’a jamais été mis en vente, mais a été offert en cadeau aux amis et associés de Prigojine.
Des dons de l’ouvrage ont bien été au minimum réalisés, dont un à la première dame du Kirghizistan. Cette dernière lui aurait promis « qu'elle allait le traduire en kirghize et l'intégrer au programme scolaire comme lecture obligatoire »... Un curriculum vitae en anglais de Prigojine, extrait des emails piratés d’un cabinet d’avocats qui le représente, mentionne que « la plupart des 1000 livres publiés ont été distribués en tant que présents ».
Evgueni Prigojine avait enfin assuré la parution prochaine d’un second tome des aventures d’Indraguzik, dans « le monde moderne ».
À cette époque, le futur chef de guerre était à la tête d’une entreprise de restauration prospère à Saint-Pétersbourg. Une belle reconversion pour l’ancien délinquant condamné à plusieurs reprises, dont une peine de neuf ans pour vol dans les années 1980. Au fil du temps, il a gagné le surnom de « cuisinier de Poutine » en raison de ses liens étroits avec le président russe.
Plus tard, la société Internet Research Agency, qui aurait été financée par Prigojine, a été accusée d’ingérence dans les élections américaines de 2016, à travers une vaste campagne de désinformation par l'entremise des médias sociaux, afin d'influencer l’opinion publique aux États-Unis. Entre autres en raison de son implication présumée, il est sanctionné par les États-Unis et d’autres pays occidentaux.
En 2014, il participe à la création et assume la direction d’une société militaire privée, Wagner, qui mobilise des mercenaires pour des missions paramilitaires dans plusieurs pays, tels que la Syrie, a République centrafricaine ou le Mali, profitant de contextes d’États failli et/ou en guerre. Wagner participe également activement à l’« Opération militaire spéciale » en Ukraine, prenant par exemple la ville ukrainienne de Bakhmout après des mois de combats sanglants qui coûtèrent des dizaines de milliers de vies.
À l’occasion de la participation du groupe paramilitaire au conflit ukrainien, Prigojine a, à plusieurs reprises, mis en cause avec force, plusieurs hauts responsables russes, dont le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, mettant en garde contre une révolution de type 1917 si l’élite russe ne s’engageait pas totalement dans la guerre en Ukraine.
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Face à la volonté de le destituer de sa position de leader de Wagner, Evgueni Prigojine entreprend une marche sur Moscou, avant de faire machine arrière, se condamnant par la même occasion. S’il fallait tirer une morale de cette histoire : quand on franchit le Rubicon, le retour en arrière est impossible sans se condamner...
Crédits photo : Gouvernement de la Fédération de Russie (CC BY-SA 3.0)
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