Durant l'époque victorienne, en Angleterre, une couleur faisait de véritables ravages : le vert émeraude. Ce beau vert, inspiré par la pierre précieuse, tapissait les robes, les papiers peints, les aliments, et même... les livres. Une couleur si belle qu'elle en devenait dangereuse : aujourd'hui, de nombreux livres sont déclarés toxiques à cause de ce pigment, puisqu'il est en réalité un savant mélange de potassium, de cuivre et... d'arsenic.
Le 03/05/2022 à 10:36 par Clémence Leboucher
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Publié le :
03/05/2022 à 10:36
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Au début du XIXe siècle, les livres sont de véritables créations artisanales : les couvertures, reliées en cuir, sont décorées à la main, faisant de ces ouvrages des œuvres d'art. Conservés jusqu'à aujourd'hui, ces ouvrages témoignent du soin et de la délicatesse des petites mains qui ont produit ces créations.
Le problème, c'est que le pigment reliant la toile est aujourd'hui connu sous un nom équivoque : le vert émeraude. Il sera même, plus tard, appelé « vert de Paris », car il est utilisé contre… les rats. Il est en effet le produit de la combinaison de l'acétate de cuivre avec le trioxyde d'arsenic, produisant l'acétoarsénite de cuivre. Ce vert est d'ailleurs appliqué partout : fausses fleurs, gants, robes, coiffes ou papier peint. En 1860, plus de 700 tonnes de ce pigment avaient été produites en Angleterre.
Si la Révolution industrielle a amélioré la production en série des livres — le taux de lecteurs étant croissant — et si le vert toxique a pu être remplacé par des pigments plus sains, le mal est fait : aujourd'hui, de nombreux livres contiennent encore de l'arsenic, qui survit dans le temps. Et les complications pour les personnes qui les manipulent s'avèrent peu agréables : démangeaisons, problèmes respiratoires, nausées...
Face à ce phénomène, la responsable du laboratoire de conservation de la bibliothèque du Winterthur Museum, dans le Delaware, a créé un nouveau projet : Poison Book Project. L'objectif est de réussir à localiser, cataloguer et sécuriser tous ces volumes, puisqu'à force de manipulation, ils peuvent mettre en danger les libraires, bibliothécaires et chercheurs qui souhaiteraient les utiliser.
La responsable, Melissa Tedone, a débuté son projet lorsqu'elle a reçu une demande d'emprunt d'un livre publié en 1857, Rustic Adornments for Homes and Taste, de Shirley Hibberd. Mais le livre est très abîmé : « Ce livre était très beau, d'un vert vif avec beaucoup d'estampes dorées. Il était très beau visuellement, mais il était en très mauvais état », explique-t-elle à National Geographic. Ni une ni deux, le livre est envoyé en laboratoire. Les conclusions de la responsable de recherche, Rosie Grayburn, sont sans appel : du cuivre et de l'arsenic sont présents dans le pigment vert.
L'édition de 1857, dont la couverture est signée John Leighton (Dumbarton Oaks)
À LIRE : Entre Hildegarde de Bingen et Cagliostro, l’énigme du cabinet des poisons
« Il y avait une excrétion noire et cireuse à la surface, et j'essayais de la décoller de la toile de livre avec une plume de porc-épic », confirme Melissa Tedone. Confiant ses inquiétudes à Michael Gladle, directeur de la santé et de la sécurité environnementales de l'Université du Delaware, ce dernier recommande alors que « les personnes qui ont accès à ces livres anciens à des fins de recherche devraient porter des gants et utiliser un espace spécifique pour examiner ces livres ».
Dans la couverture de Rustic Adornments for Homes and Taste, Rosie Grayburn a découvert environ 1,42 milligramme d'arsenic par centimètre carré. Sans soins médicaux, la dose létale d'arsenic pour un adulte est d'environ 100 milligrammes. Pas de quoi s'inquiéter, donc ; mais des mesures de protection sont nécessaires.
La bibliothèque de Winterthur retire ainsi neuf livres de ses étalages, les plaçant en quarantaine dans des sacs en matériau spécifique. Les bibliothécaires et chercheurs doivent par ailleurs porter des gants en nitrite.
Aujourd'hui, le Poison Book Project alerte : toute bibliothèque qui collectionne les reliures en toile venant du milieu du XIXe siècle est susceptible d'avoir un ou deux livres toxiques dans ses rayons. Plus de 88 livres contenant du vert émeraude ont d'ailleurs été découvert par l'équipe du PBP, dont 25 à la Library Company of Philadelphia, plus ancienne bibliothèque des États-Unis.
The Pilgrim's Progress de John Bunyan, publié dans les années 1850 en pleine époque victorienne (Mflibra)
Ce n'est pas la première fois que des livres toxiques et empoisonnés sont découverts : à la bibliothèque de l’université du Danemark du Sud, trois rares volumes reliés datant des XVIe et XVIIe siècles avaient été passés au microscope. De grandes concentrations d’arsenic étaient présentes dans la couverture et l'encre des ouvrages.
Malgré cela, Melissa Tedone l'assure : ces livres ne doivent pas être mis à la poubelle. « Il ne faut pas paniquer et les jeter […] Nous voulons simplement que les gens prennent cela au sérieux. » Attention, tout de même, si vous retrouvez un joli livre vert dans votre grenier...
Crédits : Pxhere, CC0
Par Clémence Leboucher
Contact : cl@actualitte.com
1 Commentaire
Michel ZORDAN
17/03/2024 à 09:41
C'est très bien d'avertir, mais je pense qu'il serait bon de permettre aux possesseurs d'ouvrages anciens de faire facilement un diagnostic... Je dispose d'une petite collection, comment savoir si certains de ces livres sont toxiques ? Mon premier réflexe va être de condamner ceux qui me paraissent suspects au bûcher !