L'auteur de L'Attrape-Coeurs, J.D Salinger, est un écrivain mythique et secret. Connu pour son silence et son retrait anticipé de la vie publique, il n'accordait que très peu d'entretiens aux journalistes. Après son décès en 2010, il semble bien qu'il n'existe qu'un enregistrement de sa voix, obtenu par une ancienne journaliste sous couverture. Rongée par la culpabilité, cette dernière a bien l'intention de ne jamais laisser filtrer cet enregistrement, qui permettrait pourtant de lever (un peu) le voile sur la personnalité d'un des écrivains les plus énigmatiques du XXe siècle.
Le 01/03/2022 à 14:13 par Clémence Leboucher
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Pour nombre de ses lecteurs, Jerome David Salinger reste un mystérieux maitre de la littérature américaine. Éternel adolescent, adepte de la spiritualité, il se retire de la vie publique vers 1960 et devient un véritable reclus de la société.
Une vie cachée, et une discrétion sans égale, alors que l'écrivain est devenu l'un des plus reconnus de son temps avec son roman L'Attrape-Coeurs (The Catcher in the Rye), publié en 1951 et relatant l'errance solitaire de l'adolescent Holden Caulfield dans les rues de New York. Cette publication fait suite à plusieurs nouvelles écrites dans le journal The New Yorker, notamment Un jour rêvé pour le poisson-banane (A Perfect Day for Bananafish) ou encore Pour Esmé, avec amour et abjection (For Esmé—with Love and Squalor).
Suite à son succès fulgurant, Salinger devient une icône pour les adolescents, et sa notoriété engendre un repli sur lui-même dont il ne sortira jamais. Il s'isole à Cornish, dans le New Hampshire, et fuit toute exposition médiatique, publiant une dernière nouvelle dans The New Yorker, Hapworth 16, 1924, en 1965.
Pourtant, il semble qu'un dernier souffle de vie, ou presque, de l'écrivain mystérieux, décédé à 91 ans, subsiste encore. En juillet 2021, dans les pages du journal Bloomberg, Betty Eppes a raconté comment elle a obtenu un enregistrement de la voix de J.D. Salinger.
Connu pour être l'un des auteurs les plus difficiles à interviewer de son temps, Salinger devient un véritable défi pour la journaliste Eppes, bien décidée à percer la carapace du mythique écrivain. Travaillant pour le journal Baton Rouge Advocate, et se faisant passer pour une romancière en mal d'inspiration, elle réussit à rencontrer l'auteur lors d'un rendez-vous dans une épicerie, le 13 juin 1980. Ce rendez-vous a lieu plus de 27 ans après les derniers propos publiés de l'écrivain, en 1953.
La journaliste âgée de 40 ans, qui dissimule un magnétophone sous son bras, entame une discussion de 27 minutes avec le romancier. Holden Caulfield, son personnage le plus célèbre, va-t-il grandir un jour ? lui demande-t-elle. « Tout est dans le livre », aurait-il répondu. La conversation, qui ne sera écoutée que par la journaliste et ses employeurs , aurait été axée sur la vie, littéraire ou non, de Salinger - son expérience dans les camps lors de la Seconde Guerre mondiale, qui lui vaudra un syndrome post-traumatique, par exemple - et sur ses possibles futures publications. Finalement reconnu par les clients alentour, Salinger part précipitamment.
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S'il n'a aucune idée de la stratégie de Betty Eppes, cette dernière publiera tout de même des extraits de la conversation dans les pages du Paris Review. Sa supercherie aurait pu être très lucrative : quelqu'un aurait proposé 500.000 $ pour obtenir son enregistrement, qu'elle a refusé de transmettre à qui que ce soit.
Il est aujourd'hui bien caché dans un coffre-fort, et la journaliste, coupable et honteuse d'avoir trahi l'écrivain très à cheval sur la discrétion, compte l'emporter avec elle : « Peu de temps après notre conversation, Eppes m'a appelé pour me dire qu'elle avait mis à jour son testament. La cassette sera désormais placée, avec son corps, au crématorium », indique Brin-Jonathan Butler, le journaliste de Bloomberg.
Ce n'est pas la première fois que la voix d'un écrivain reste un mystère pour le monde entier : aucun enregistrement véritable de la voix de Georges Orwell, par exemple, ne nous a été communiqué. Ce mystère est d'autant plus intense pour J.D Salinger puisque ce dernier cultivait littéralement le secret : dès 1970, il avait remboursé à son éditeur un à-valoir de 75.000 dollars, selon Le Figaro. Il n'envisageait donc plus de publier.
En juillet 2009, 7 mois avant sa mort, Salinger contacte ses avocats concernant une suite non autorisée de L'Attrape-Coeurs : The Catcher in the Rye, 60 Years Later: Coming Through the Rye, par l'éditeur suédois Fredrik Colting sous le pseudonyme de JD California. L'affaire, qui aura été taxée de canular, aura tout de même permis de montrer à quel point l'écrivain détestait la reprise de ses écrits : en 2011, Colting a accepté de ne pas publier 60 years Later.
Secret, mystérieux et proche de ses écrits, J.D Salinger restera mythique, et l'interview secrète de Betty Eppes y est probablement pour quelque chose. Un morceau de voix qui partira sûrement avec sa détentrice, et dont l'histoire fait écho à la dernière phrase de L'Attrape-Coeurs : « Ne racontez jamais rien à personne. Si vous le faites, tout le monde se met à vous manquer. »
Photographie : Salinger, dessin d'après une célèbre photo de Paul Adao et Steve Connally pour le New York Post, en 1988 (alessio sartore, CC BY-NC 2.0)
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