Le jury du Prix du Roman de la Nuit, présenté comme la première récompense littéraire « en Europe qui célèbre une œuvre inspirée par la nuit », a choisi ses lauréats 2024 : Christophe Boltanski dans la catégorie Roman pour King Kasaï, paru aux éditions Stock, et Ervé, qui reçoit le prix Spécial du jury pour Morsures de nuit, édité chez Maurice Nadeau.
Le 22/01/2024 à 11:21 par Hocine Bouhadjera
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22/01/2024 à 11:21
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King Kasaï est le nom d’un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l’Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C’est face à cette ancienne vitrine du projet colonial belge, aujourd’hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit.
Ce dernier part sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l’éléphant en 1956...
Il est tout blanc, d’un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière – l’ivoire – à travers ses multiples usages exhumés d’un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n’est plus qu’un bibelot parmi d’autres.
- King Kasaï, de Christophe Boltanski
Précédemment, Christophe Boltanski a publié aux éditions Stock La Cache (prix Femina 2015), Le Guetteur (2018) et Les Vies de Jacob (2021).
Ervé a lui été récompensé par un prix Spécial du jury pour Morsures de nuit, où il partage son expérience de sans-abri errant. Il a vécu jusqu’à cinquante ans dans la rue, avant de trouver un toit pour s’abriter et une « maison » pour être édité. Morsures de nuit est son deuxième ouvrage.
« Après Les Écritures carnassières qui narraient par bribes des moments de sa vie, Ervé explore ses errances nocturnes, les nuits kaléidoscopiques qui auraient pu l’emporter ou celles qui l’ont sauvée, cet espace autre où la solitude se fait ouatée, où il peut se cacher et dessiner un destin secret. Ces nuits sont peuplées de leur cortège d’âmes brisées, des femmes fugaces et disparues qui reviennent le hanter, tout comme des silhouettes fantomatiques de toutes sortes qui glissent à ses côtés. Dans ces Morsures de nuit, le regard d’Ervé « toujours un peu au bord du monde », pose un regard singulier à la fois bienveillant et extraordinairement acéré sur notre réalité.
Comme à l’accoutumée, j’ai droit aux questions à la con. Qui je suis. D’où je viens. Pourquoi je suis là. Réponse à la con à questions tout autant : Je suis, je viens de loin, je vis là. Sa moue perplexe me fait sourire. Je la trouve belle cette moue. Je lui explique que je suis SDF, qu’ici c’est mon bout de trottoir et que je n’ai pour horizon que ce qui ne m’empêche à rien. Tout en riant, elle m’avoue qu’elle n’a rien compris à la fin en me proposant le joint. La rue est vide, même les terrasses. Tout autour, les rideaux baissent. Enfin. Quelques murmures des appartements tout au plus viennent à mes oreilles. Elle me tend un gobelet et y sert une très large vodka. Elle tremble un peu. Ses mains tremblent un peu. Et ce n’est pas de froid puisque la nuit est douce. (...) Elle habite non loin et m’y invite. Je refuse. Trop jolie et bien trop éméchée. Je lui explique mon refus par le « demain, tu regretteras. » Elle boude. Je la trouve encore plus attirante et tire sur le joint.
Elle veut visiter la cave. Je lui réponds souris et rats. Elle veut comprendre ma détresse, je lui réponds « morsures » et « flottements ». Ses yeux du noir des filles du Maghreb m’envoûtent, aidés par les lueurs sourdes du lampadaire au loin. Dieu que cette femme est divine. Et morsure.
Elle insiste pour que l’on aille au bord du canal « se finir ». Je flotte. Elle finit par vomir sa mauvaise boisson et je la raccompagne jusqu’au pas de chez elle. Tu es gentil vampire. Entre. »
- Morsures de nuit, d'Ervé
Le jury du Prix du Roman de la Nuit est composé, aux dernières nouvelles, de Marie Binet, Yvan Amar, Julien Cendres, Caroline Grimm, Sandrine Taddeï, Geraldine Laurent, Jerome Attal, Marie Sellier, Sapho, François Emmanuel, Akli Taje, Ariane Bois, Bertrand Guillot et Sorour Kasmaï.
Les jurés d’honneur furent successivement Sandrine Bonnaire, Jean-Claude Dreyfus, Frédéric Mitterrand, Agnès Touraine, Frédéric Taddeï et Arielle Dombasle.
Le palmarès du prix Roman de la Nuit
2017 : Isaac Rosa, La pièce obscure, Christian Bourgois
2018 : Jakuta Alikavazovic, L’avancée de la nuit, L’Olivier
2019 : Thierry Froger, Les nuits d’Ava, Actes Sud
2020 : Christiane Taubira, Nuit d’épine, Plon
2021 : Laurent Gaudé, Paris, mille vies, Actes Sud
2022 : Mikaël Hirsch, L’assassinat de Joseph Kessel, Serge Safran
2023 : François Emmanuel, Raconter la nuit, Seuil
Retrouver la liste des prix littéraires français et francophones
Crédits photo : Night Photo Class (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 11/01/2023
160 pages
Stock
18,50 €
Paru le 15/09/2023
160 pages
Maurice Nadeau
17,00 €
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