La garde des Sceaux, Christiane Taubira, ne compte plus les attaques racistes dont elle est victime. Lancée dans la défense du mariage pour tous, elle a fini par cristalliser nombre de mécontentement, et endure les insultes les plus diverses - et les plus insupportables. Et le premier ministre qui a tardé à réagir, semble bien incapable de venir en aide à ses ministres. Pauvre démocratie, pauvre République.
Le 16/11/2013 à 12:19 par Nicolas Gary
Publié le :
16/11/2013 à 12:19
Parti socialiste, CC BY NC ND 2.0
Heureusement, il reste les intellectuels, et plus précisément, les écrivains. Tout a commencé avec Léonora Miano, que le jury du prix Femina a choisie cette année, pour La saison de l'ombre, publié chez Grasset. Lors d'un déplacement à Angers, accueillie par des fillettes armées de bananes, la Garde des Sceaux avait été littéralement agressée.
"Toutes les personnes noires sont animalisées."
Dans ce contexte, le prix Femina, déjà promu pour le grand prix du Roman Métis, mettant en lumière les valeurs de métissage, diversité et humanisme, « revêtait un aspect symbolique après qu'une ministre française, Christiane Taubira, a été traitée de guenon », affirmait la romancière.
Citée par l'AFP, Leonora Miano poursuivait, lors de la remise de son prix : « Ce n'est pas seulement elle qui est insultée, mais toutes les personnes noires qui sont animalisées. [...] Ce n'est pas seulement le roman en lui-même qui est symbolique, mais mon visage qui ressemble au sien. »
C'est un sentiment de vengeance qu'elle ressentait, et partageait avec toutes les personnes qui ont pu être ainsi humiliées. « On aurait aimé que les réactions ne viennent pas seulement de nous, mais du chef de l'État et que ceux qui l'ont insultée soient poursuivis par la loi. » Et de conclure : « J'aurais aimé une sanction parce que ce sont des propos qui tombent sous le coup de la loi. [...] Ce n'est pas aux Noirs de se lever pour ester en justice parce que Christiane Taubira a été insultée: elle est le troisième personnage du gouvernement. »
"La honte que je ressens d'être français"
Le lendemain, Yann Moix recevait le prix Renaudot pour Naissance (toujours chez Grasset). Et peut après cette annonce, il se fendait d'un message destiné à Christiane Taubira. Une « courte lettre », pour exprimer « la honte que je ressens d'être français quand vous êtes insultée dans votre dignité n'est rien, absolument rien, au regard de la fierté que je ressens face à la permanente démonstration de votre courage ».
L'écrivain tenait à saluer la dignité, semblable à celle que Robert Badinter ou Simone Veil surent afficher, en leur temps, lorsque leur vision du monde fut confrontée « à la haine provisoire des réactionnaires et des moisis». Témoignage pathétique des « nombreuses maladies dont notre pays est aujourd'hui atteint», les insultes faisaient finalement rejaillir la grandeur d'âme de la garde des Sceaux.
Puissiez-vous, madame, exister encore longtemps, et incarner cette Marianne au visage plus humain, moins éthéré, moins lisse aussi, que celle dont rêvent les nostalgiques d'une France éternelle qui, pour notre grand bonheur, n'eut jamais la moindre réalité et, ne leur en déplaise, n'existera jamais.
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Pensez donc à Bernanos : « Les ratés ne vous rateront pas. »
Des attaques "ignobles, indignes, dégueulasses"
Et finalement, c'est Marie Darrieussecq, prix Médicis (Il faut beaucoup aimer les hommes, chez P.O.L) qui intervient. Ce roman, racontant sa vision de l'Afrique, continent qu'elle a plusieurs fois visité, offre un écho tout particulier, et elle souhaite dédier son prix à la femme politique. « Les attaques que subit notre ministre sont ignobles, indignes, dégueulasses. Et elles viennent de loin, d'une France qui existe, qui est là, et dont je viens, mais qui n'est pas la mienne. »
Des bols Banania aux imitations de Michel Leeb, en passant par des comportements d'un ancien temps, l'écrivaine et psychanalyste se souvient d'une formation scolaire où « on lisait Eluard ou Prévert, pas Césaire ni Senghor». Une époque qui vit aussi fleurir les badges Touche pas à mont pote, revendiquant finalement la devise française d'égalité, de liberté et de fraternité. Mais avec le temps, les comportements ne changent pas.
Or c'est ce racisme, primaire et brutal, qui resurgit aujourd'hui dans l'espace le plus public. Ce qui nous horrifie dans la « une » de Minute et dans les insultes du type « Banania » (comme celles subies aussi par la ministre italienne Cécile Kyenge), c'est que nous sommes bien obligés de les entendre ; elles nous concernent et nous salissent tous, en la personne d'une ministre.
Si le racisme s'exerce à l'encontre de toutes les couleurs de peau, des couches sociales, elle pointe une nouvelle orientation dans ses manifestations :
Le racisme aujourd'hui se présente comme une sorte de bon sens objectif, brimé et censuré, qui prétend s'opposer au racisme de grand-papa, celui qui biologisait la différence. On ne parle plus d'infériorité des races, mais d'infériorité des civilisations ou d'infériorité des pratiques. L'explosion éjaculatoire du vieux racisme « Banania » nous saisit, nous surprend : c'est un rappel qu'il est toujours aux racines de cette idéologie.
La condamnation de l'ONU, même !
Aujourd'hui, Christiane Taubira est sous protection renforcée, et plusieurs élus UMP lui ont même apporté leur soutien. Le haut commissariat des droits de l'homme de l'ONU vient tout juste de condamner la dernière attaque dont elle a été victime, relaie l'AFP. Un porte-parole, depuis Genève, a déclaré : « Nous condamnons les attaques racistes dont fait l'objet depuis plusieurs semaines la Ministre française de la Justice, Christiane Taubira, et notamment la couverture d'un hebdomadaire d'extrême droite Minute publié mercredi avec la photo de la Ministre accompagnée de la légende: "Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane". »
mise à jour :
Si elle n'a pas été primée, comme les auteur(e)s que nous évoquons dans l'article, il faut également signaler l'intervention de Virginie Despentes, dans Libération.
Une seule réponse est possible face à la propagande raciste : construire un monde qui évolue. Il y a, parfois, de grandes figures providentielles. L'extrême droite est en train de faire de vous une figure héroïque, historique. Et, pour nous qui ne voterons jamais pour eux, quand bien même voudrions-nous faire dans la contestation, votre voix, désormais, est celle que nous désirons écouter.
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