Son arrivée comme enseignant dans le Nord, dans les quartiers en grande difficulté, a marqué son œuvre de manière indélébile. Rupture dans l’inspiration, mais pas dans l’écriture : il reste l’un de nos meilleurs stylistes. Rencontre.
Jérôme Leroy est certainement l’un des meilleurs écrivains français actuels. Ceux qui ont eu le plaisir de le lire ont pu s’en rendre compte. Né à Rouen en août 1964, il réside aujourd’hui à Lille et a longtemps enseigné dans les banlieues sensibles du Nord. Il n’en est pas revenu indemne, dans le bon sens — littéraire — du terme, s’entend.
Quel rapport entre son premier roman, le délicat, léger, subtil et très hussard L’Orange de Malte et la rage contenue, forte d’une puissante critique sociale du Bloc ? Tout : c’est-à-dire le style. Ce style qui, comme c’est toujours le cas pour ceux qui détiennent ce talent rare, a fini par lui jouer des tours. Les bien-pensants de tous bords n’aiment pas Leroy.
Ceux de droite se méfient de sa période normande (L’Orange de Malte), lui reprochent l’apologie de dandies sulfureux, trop libres, moralement très... indépendants ; ceux de gauche (enfin, la pseudo gauche) ne goûtent guère ses convictions communistes qui, à rebours de leur eurobéatitude, font aussi la part belle à ce pays qu’il aime tant : la France.
Une rupture dans l’œuvre de Jérôme Leroy ? C’est indéniable. « Je pense que cette rupture, au moins dans l’inspiration, est due à mon arrivée dans le Nord et à ma rencontre avec Roubaix où j’ai enseigné pendant vingt ans », explique-t-il.
« J’ai été confronté à la violence sociale, à la machine à exclure, j’ai vu des gens formidables lutter contre les déterminismes qui pesaient sur les gamins. Et dès 1997, je publie Monnaie Bleue, mon premier roman noir au sens classique du terme. Il répondait ou essayait de répondre à une question simple : comment ça tient ? Et j’ai imaginé huit ans avant, les émeutes de 2005. D’autres auteurs de noir ont vu venir le coup, comme Fajardie. Du coup, L’Huma est venu nous voir avec quelques autres en 2005 pour montrer le côté prophétique qui en fait est surtout une façon différente de regarder le réel, de ne pas poser le projecteur au même endroit. En même temps, ce n’est pas parce qu’on fait de la littérature de genre que l’on doit sacrifier le style. Quand j’ai écrit Le Bloc sur la montée du FN ou L’Ange gardien, ce n’est pas parce que je paraissais en série noire que j’ai oublié de faire ce qui me passionne aussi : des objets de style, où j’expérimente, par exemple le monologue intérieur dans Le Bloc ou la scansion dans L’Ange gardien. »
Dans la préface de la réédition de L’Orange de Malte, l’excellent Sébastien Lapaque, écrivain et critique au Figaro littéraire, évoque très finement cette rupture : « Jérôme Leroy est ce garçon étonnant, qui après être dans la carrière à la fin des années 1980 auréolé des prestiges d’un splendide écrivain de droite, a brusquement opéré un virage à 180°, laissant Drieu la Rochelle pour Aragon, Chardonne pour Nizan et Nimier pour Vailland. Ce renversement de front est généralement incompris. Les gens de droite se demandent où il va ; ceux de gauche d’où il vient. »
Il n’empêche que quand on lui demande s’il se considère comme un écrivain engagé, ou, plus précisément marxiste, il répond sans ambages : « Engagé à gauche ne veut pas dire porteur d’un message particulier. Je ne suis pas curé, même rouge. Je déteste tous les catéchismes en littérature. Ce que je veux, c’est raconter des histoires, provoquer l’émotion, les questions. À la limite, le choix politique, il est en amont, c’est là où je décide de poser ma caméra, c’est dans le montage, tout montage renvoie à une métaphysique disait Godard. »
Son ancrage dans le Nord comme enseignant a donc joué un rôle significatif dans son œuvre. Aujourd’hui, alors qu’il a abandonné l’Éducation nationale pour se consacrer entièrement à l’écriture, il sillonne la France, partageant son temps entre conférences, ateliers d’écriture et résidences d’auteur. « Je suis devenu un écrivain nomade, j’aime ça, notamment les déplacements liés à ma pratique de la littérature ado, ça me permet de rester au contact de la société, de la jeunesse, car l’activité littéraire, de création isole », avoue-t-il.
« J’aime aussi travailler avec les éducateurs en formation à l’Afertès d’Arras. Eux aussi sont au feu. Mais assez étrangement, la plupart du temps, je vais assez loin de la région comme si nul n’était prophète en son pays ou que je n’existais pas vraiment pour la région. C’est un phénomène étrange, pas gênant, j’en ai pris mon parti, mais étrange. »
Même si on le sait moins, Jérôme Leroy est également un excellent poète, audacieux et élégant. Deux de ses recueils, Un dernier verre en Atlantide et Sauf dans les chansons, parus à La Table ronde, le prouvent.
« La poésie a toujours été là, en fait, j’ai commencé par ça et je terminerai sans doute par ça. Il n’y a pas de contradiction avec le roman noir. Au contraire. Je viens de donner avec le poète lyonnais Frédérick Houdaer une performance à ce sujet pour la Maison de la Poésie de Nantes : depuis toujours le noir et la poésie se répondent, se confondent chez Poe ou les surréalistes, chez Ellroy ou David Peace, parce que roman noir et poésie ont en commun le désir de déstabiliser le regard, de forcer à reprendre ses repères tout le temps. J’ai publié trois recueils depuis 2006, mais ça a toujours été là. »
Propos recueillis par Philippe Laccoche
en partenariat avec le CRLL Nord Pas de Calais
Par La rédaction
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