L’industrie du livre a-t-elle réellement quelque chose à apprendre de celle du porno ? Christophe Paul, ancien employé d’un sex-shop dans le nord-est de Washington, le croit. Aujourd’hui qu’il est devenu écrivain, il se penche sur la question, et retient quelques astuces de cette époque.
Le 21/03/2017 à 16:52 par Nicolas Gary
Publié le :
21/03/2017 à 16:52
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« C’était une bénédiction, d’être payé pour pratiquer mon métier [d’écrivain, NdR]. Toutes ces heures passées ont fait de moi un meilleur écrivain, mais la gestion d’un sex-shop m’a également apporté certaines compétences », explique-t-il dans Lit Reactor.
La première étape, dans un sex-shop, c’est d’avoir une sélection qui fait envie. Moralité, l’ancien employé s’efforçait de garder un œil vigilant sur les nouveautés, mais également les ventes réalisées par les films. Et en la matière le choix s’effectue avant tout par... la couverture. « Elle doit au moins titiller la curiosité et satisfaire quelque chose qu’un lecteur ou un spectateur de porno souhaite. De mauvaises couvertures, que ce soit pour du porno ou un roman, sont faciles à repérer et resteront toujours sur l’étagère. »
On ne le croirait pas, mais les échanges avec les clients semblent importer dans un sex-shop. D’ailleurs, les clients ne manquaient pas de se confesser auprès du vendeur, racontant les derniers films vus. Cette capacité d’écoute développée a manifestement enrichi ses facultés d’écrivains. Quel que soit le profil, les personnalités ont pu dévoiler des facettes « subtiles et nuancées, chacune avec son modèle, son vocabulaire ». Précieux.
Parvenir à écrire dans n’importe quelles circonstances est manifestement quelque chose que l’on perfectionne dans une boutique de ce genre. « J’ai appris qu’il n’y avait pas plus parfait endroit pour lire et écrire, et que, même au gré des dérangements les plus pénibles, on peut toujours trouver le temps d’être créatif. » On croira sur parole.
Il est certain que vendre des DVD contenant des termes comme anal, grosse bite ou gros seins, dans le titre, on acquiert des capacités étonnantes. Proposer son ouvrage autopublié devient plus simple. « Alors que les pilules pour faire grandir son pénis sont des conneries, je crois en ce que je vends. Cette combinaison d’enthousiasme et de compétences de vente m’a aidé à faire la fermeture de chaque conférence/festival auquel j’ai participé. »
Comme évoqué plus haut, les publics qui se rendent dans un sex-shop sont des reflets étonnants du monde réel. Écouter les gens parler permet de fixer des caractères et des personnages dont l’existence littéraire n’en sera que plus vivante.
Les attentes d’une personne qui vient acheter un film X sont celles de tout consommateur : répondre à une envie, en l’occurrence plutôt spécifique. « J’ai appris des vidéos pornos populaires que quand on écrit dans un certain genre, il faut faire en sorte que les fans soient heureux, mais aussi leur donner quelque chose d’unique. » Style, langage, récit, personnage : bref, s’inscrire dans l’univers, tout en apportant de l’inédit.
Parfois, les clients du sex-shop s’intéressaient à ce que le vendeur pouvait lire. C’est dans ces conditions que, parfois, le lecteur se retrouve à parler de ses lectures – et voici qu’Anna Karénine devient un objet de convoitise pour des clients de vidéo porno. L’un et l’autre ne sont pas incompatibles, certes... mais savoir convaincre des publics qui n’étaient pas venus pour de la littérature, c’est tout un art.
Vendre et recommander des vibromasseurs à des clients et des clientes n’est pas chose aisée. Les premiers conseils dispensés n’étaient pas vraiment les plus simples, mais à mesure que le temps passe, le vendeur se perfectionne. Une suggestion faite sur le ton de l’humour, tout en conservant une approche respectueuse, passe bien. Des approches qui font toute la différence. Que l’on parle de sex toys ou d’histoires, communiquer de la meilleure des manières donnera aux écrivains la meilleure technique pour valoriser son propre travail.
Aux périodes d’hiver, les clients étaient plus nombreux : mais il ne s’agissait pas simplement d’acheter ou de louer. Les gens voulaient avant tout sortir. Le sex-shop devenait une sorte de salon de coiffure, où l’on vient discuter. Mais les grandes histoires racontées ne proviennent pas nécessairement pas d’un grand écrivain. Parce que raconter est une compétence distincte, il faut savoir parler des histoires que l’on écrit. Dans un sex-shop, manifestement, tout est propice à récit.
En sept années de travail dans un sex-shop, notre écrivain a su perdre son esprit de snob littéraire. C’est au contact de cet univers que la mentalité vis-à-vis d’autres genres a changé. « Après deux ans de travail, mon esprit s’est vraiment ouvert et j’ai vu que le porno, l’érotisme ou le roman sont des formes d’art, et que le public apprécie leur fantaisie et recherche ce qu’elles proposent. » Ne pas dénigrer, garder l’esprit ouvert...
Juste assez de bon sens, dans l’ensemble, pour faire d’un écrivain un bon auteur. Après, il faut avoir envie d’écrire...
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