L’exofiction s’invite sur les bancs de la rentrée littéraire depuis, déjà, deux ou trois saisons. Terme forgé en 2013, l’exofiction est un genre littéraire qui crée une fiction à partir d’éléments du réel, mettant souvent en jeu des personnages célèbres. Cette tendance à réinventer le monde s’installe durablement dans le paysage éditorial français et les prochains mois s’annoncent riches en réécritures de l’Histoire par la littérature...
Le 10/08/2016 à 08:43 par La rédaction
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Publié le :
10/08/2016 à 08:43
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par Mathilde de Chalonge
Susanna Fernandez, CC BY ND 2.0
Finalement, on en revient toujours à la question posée par Jean-Paul Sartre en 1964 : qu’est-ce que la littérature ? N’essayons pas d’être exhaustifs. Proposer une certaine vision du monde est la réponse que l’exofiction (re) donne aujourd’hui à cette question. L’exofiction présente un monde où la frontière entre la fiction et le réel est poreuse. Rien de nouveau sous le soleil ? On connaît déjà les biographies fictives, l’autofiction, la non-fiction romancée, les romans « inspirés du réel »… On pourrait d'ailleurs ajouter que la maison Actes Sud avait consacré une collection Exofiction, plutôt orientée sicence-fiction, et initiée avec la saga de Hugh Owey, Silo.
Plusieurs intellectuels ont donné leur définition de l’exofiction. Muriel Steinmetz expliquait l’année dernière dans L’Humanité que « l’exofiction, définit le roman en brouillant (ou du moins en remaniant) la frontière entre fiction et biographie, voire en utilisant des personnages plus ou moins célèbres ou en s’inspirant de récits historiques d’époques diverses. »
Pour Philippe Vasset, cité par Frédéric Roussel dans Libération en 2013 « La fiction aujourd’hui se construit beaucoup à partir d’énigmes que nous présente le réel. » La mode n’est plus à l’introspection et au décorticage littéraire de sa psyché : les romanciers préfèrent se tourner vers le monde extérieur pour le réécrire.
L’exofiction s’empare d’une personnalité publique pour réécrire complètement son histoire, à l’inverse de la biographie romancée qui reste globalement fidèle au personnage dépeint. Avec l’exofiction, les écrivains dépassent le seul enjolivement du réel : ils l’abolissent pour en procurer un autre.
On se souvient du Prix Fnac 2015, La Septième Fonction du Langage de Laurent Binet, qui créait une enquête policière autour de la mort de Roland Barthes. Yasmina Khadra, avec La Dernière nuit du Raïs, se mettait dans la peau de Kadhafi et Bernard Chambaz racontait les différentes vies de Poutine dans Vladimir Vladimirovitch. Qu’ils aient gagné un prix littéraire ou pas, on a beaucoup parlé de ces trois romans l’année dernière, montrant l’intérêt du public pour les fictions qui mettent en scène des personnages célèbres. C’est sans surprise qu’on retrouve ce même procédé d’écriture pour la rentrée 2016.
Sur les 560 romans et nouvelles français et étrangers qui paraissent cette année, on peut retenir de nombreuses exofictions. Les sportifs, d’abord, sont célébrés. Après Poutine, Bernard Chambaz revient avec A tombeau ouvert, plongée dans la vie d’un pilote de Formule 1. Il nous fait revivre la sortie de route à 260 km/h le 1er mai 1994 d’Artyon Senna, présenté comme un nouvel Achille.
Jean-François Roseau narre, quant à lui, la vie du pilote d’avion Albert Preziosi dans La Chute d’Icare. Les artistes, ensuite, continuent à captiver les écrivains. Claude Monet, Van Gogh et Louis Soutter s’offrent une deuxième vie sous la plume de, respectivement, Michel Bernard, Jean-Michel Guenassia et Michel Layaz. Retour sur le don des Nymphéas à l’Etat (Deux remords de Claude Monet), intrusion dans la maison d’un Van Gogh misogyne (La valse des arbres et du ciel), solitude d’un peintre inconnu (Louis Soutter, probablement)… Les trois romans s’immiscent dans la vie privée d’hommes aux arts proches mais aux personnalités différentes.
Plus proches de nous, Jim Morrison et Gene Vincent deviennent amis le temps d’un livre : Jim Morrison et le diable boiteux, de Michel Embareck. Il narre la folle rencontre entre le chanteur des Doors et l’auteur de Bee-Bop-a-Lula.
Pour son premier roman, Sauve qui peut, Thierry Froger imagine la raison pour laquelle Jean-Luc Godard a renoncé à réaliser le film Quatre-vingt-treize et demi, axé sur la vie de Danton en pleine Révolution française.
Les poètes et écrivains d’une autre époque fascinent une nouvelle fois leurs homologues contemporains. On redécouvrira l’auteur des Illuminations dans La Vie prolongée d’Arthur Rimbaud de Thierry Beinstingel. Dans Les Pêcheurs d’étoiles, Jean-Paul Delfino relate une nuit fantastique et surréaliste où Blaise Cendrars et Erik Satie se mettent à la recherche de Jean Cocteau.
Lucie Desbordes, quant à elle, rend hommage à Marceline Desbordes-Valomore, poète peu connue du grand public, mais admirée par Baudelaire, Verlaine, Stefan Sweig et Yves Bonnefoy. Le ton sait également se faire plus léger. Dans Merci pour ce roman, Guillaume Prévost imagine un François Hollande qui se réveille dans la peau de Michel Gravier, modeste ouvrier de l’usine de Fessenheim, promise à la fermeture.
L’inventeur de l’électricité, Thomas Edison, n’est pas épargné par l’exofiction. Il devient, Dans l’ombre d’Edison de Dominike Audet, un héros romantique qui ne demande qu’à ouvrir son cœur à sa jeune protégée et chercheuse.
Les écrivains ne sont plus centrés sur leur nombril. Ce reproche qu’on a souvent pu leur adresser est passé de mode depuis quelques années. Plus ouverts sur l’extérieur, les romanciers d’exofictions préfèrent analyser la psyché de leur voisin. Si l’écrivain d’autofiction ne parvenait jamais à réparer le passé, à le reconstruire et à réécrire son histoire personnelle puisque, au fond, il connaissait toujours la « vérité vraie » de sa vie, l’exofiction répare ce mal.
Le réel de l’autre est plus malléable, d’autant plus quand la personnalité dont l’écrivain s’empare vient d’un autre siècle. Les souvenirs s’effacent avec le temps, les témoins disparaissent, et, là, l’écrivain apparaît pour réécrire l’Histoire. Non officielle, peut-être, cette Histoire n’en est pas moins tangible.
2 Commentaires
mata masala Catherine
12/03/2023 à 21:39
Un article très, très intéressant car c'est une notion que j'ignorais totalement par rapport à l'autofiction. Félicitation et merci pour cette recherche.
Willy Kangulumba Munzenza
10/03/2024 à 14:47
Effectivement, il s'agit d'un néologisme que beaucoup de gens ignorent encore. C'est comme le concept du "vévéfisme" que j'ai forgé en 2014. Il faut donc savoir chercher, car la création est en mouvement! Et qui cherche, trouve!