Le jury du Prix Jan Michalski de littérature récompense cette année l’écrivain bulgare Guéorgui Gospodinov pour son ouvrage Physique de la mélancolie : un roman-labyrinthe, un roman-monde, qui explore les méandres de la mémoire individuelle et collective en quête d’humanité ; une fantastique boîte à histoires, inventive et profonde, poétique et philosophique.
Le 23/11/2016 à 09:14 par Cécile Mazin
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23/11/2016 à 09:14
Né en 1968 à Yambol en Bulgarie, à la fois romancier, nouvelliste, poète, essayiste et dramaturge, Guéorgui Gospodinov est un écrivain phare des lettres bulgares, comptant parmi les auteurs contemporains les plus lus dans son pays et les plus traduits à l’étranger.
De nombreux prix ont récompensé son œuvre. Si son premier recueil de poèmes Lapidarium (1992) a compté dans le renouveau littéraire de l’ère post-communiste, c’est Un roman naturel (1999, paru en français aux éditions Phébus en 2002) qui, redynamisant et réinventant la forme romanesque, lui valut un fort engouement en Bulgarie ainsi qu’une large reconnaissance internationale à travers des traductions en plus de vingt langues.
Le rayonnement de la prose de Guéorgui Gospodinov est confirmé par son deuxième roman Physique de la mélancolie (2011, paru en français aux éditions Intervalles en 2015, trad. Marie Vrinat-Nikolov), qui reçoit cette année le Prix Jan Michalski de littérature : le premier tirage en langue originale a été épuisé en une journée, et les éditions traduites se font nombreuses.
Se distinguant par son inventivité formelle, Physique de la mélancolie offre un récit fragmenté fait d’une multitude d’histoires et de réflexions, d’échos et de bonds, de voyages dans le temps et l’espace mais également en l’Autre, explorant ce que peut être la condition d’homme à l’époque postmoderne, emplie de doutes et de crises.
« Je sommes nous », annonce le prologue de l’ouvrage : au cœur d’une construction chorale, le narrateur se démultiplie à l’envi, doué d’une empathie telle qu’il a la faculté de se glisser dans d’autres vies que la sienne. Il est ainsi à la fois lui petit garçon et lui adulte dans la Bulgarie communiste et postcommuniste de 1968 à 2011, il est aussi son grand-père enfant en 1925 et son grand-père soldat pendant la Seconde Guerre mondiale, il est un animal, un végétal, un nuage... Il est encore le Minotaure, figure d’alter ego tout au long de ce roman-labyrinthe.
Dans les dédales de la mémoire individuelle et collective, Guéorgui Gospodinov poursuit une quête identitaire, qui est aussi celle d’un pays et de l’Europe toute entière, car la mélancolie se répand, la mélancolie migre. « C’est ça que j’ai envie de décrire, cette sensation de mélancolie, d’épuisement du sens, qui, d’un côté, peut-être une sensation pénible, mais qui, de l’autre, peut être aussi un sentiment lumineux. L’homme triste, c’est l’homme pensant, l’homme triste, c’est l’homme contemplant. Je pense que, lorsque l’on raconte une mélancolie, elle devient plus lumineuse. »
Alors l’écrivain raconte, collectionne des souvenirs épars, des contes, des mythes, emboîte des petites histoires personnelles et familiales dans la grande histoire, y additionne des listes, des images, des schémas, des citations, des références, sur un air d’encyclopédie brillamment orchestrée. Il raconte pour conjurer l’effacement du temps, pour tenter d’embrasser une totalité, pour relier son « moi » à d’autres « moi » et ériger l’empathie en ciment d’une humanité partagée.
Ses fils d’Ariane, tissés d’humour, d’esprit et de poésie, se suivent avec délice dans un hymne aux pouvoirs de la littérature. Physique de la mélancolie ouvre une fascinante boîte à histoires, productrice de sens pour soi et pour tous, pour aujourd’hui et pour demain, « quelque chose comme une source alternative d’énergie », ainsi que l’espère Guéorgui Gospodinov.
Lauréat du Prix Jan Michalski 2016, Guéorgui Gospodinov recevra une récompense de CHF 50’000.- ainsi qu’une œuvre de l’artiste bernois Markus Raetz choisie à son intention : Binocular View, 2001, photogravure en couleurs.
Par Cécile Mazin
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