La dent du bouddha est la suite des aventures du médecin légiste Siri Paiboun, initiées par le livre de Colin Cotteril, qui obtint le prix SNCF du polar 2007, Le déjeuner du coroner. Une chose est certaine je ne me fierais plus jamais au prix du polar SNCF ! Certes je n'ai pas lu le premier volume des péripéties de ce cher Siri, qui était peut-être acceptable, mais ce que je peux vous dire c'est que La dent du Bouddha m'a fait perdre du temps.
Pour vous replacer un peu dans le contexte et l'histoire, sans dévoiler la fin oh combien surprenante de ce polar (je suis ironique là), voici un bref résumé. Siri Paiboun est le seul médecin légiste du Laos communiste des années 70. Il n'est devenu coroner que l'année précédente et n'a pas vraiment de compétence pour cette profession si ce n'est qu'il a le pouvoir extraordinaire de voir les morts et de leur parler. Bon il ne les voit pas tous non plus et ils ne lui répondent pas tous. En fait, il a ce pouvoir parce qu'il est la réincarnation ou plutôt le réceptacle de l'esprit « d'un grand sorcier du Khamouane, vieux de mille cinquante ans », Yeh Ming, « ancêtre de bien des sorciers », qui compte bien après cette vie-là prendre sa retraite. Je vous passe les détails, mais Yeh Ming a des ennemis parmi les esprits, et Siri quant à lui a deux enquêtes à mener une à l'ancienne capitale royale Luang Prabang, et une autre à la nouvelle capitale Vientiane.
Il faut reconnaître une qualité à ce livre, il permet au lecteur de rentrer un peu dans la mentalité du Laos de cette époque. Avec son côté étouffant et je ne parle pas que de la chaleur qui y règne, avec sa mollesse d'action (due à cette même chaleur peut-être), avec la paranoïa du gouvernement en place qui n'agit que pour éviter des révoltes et non pour faire avancer le pays, Colin Cotterill nous dépeint la réalité d'un Laos embourbé dans une situation dont il ne semble pouvoir sortir. Cela dit grâce à son personnage principal, Siri, le ton reste léger voire désinvolte. De ce côté-là, je ne peux pas nier que ce roman soit d'une assez bonne facture. Et quoi de moins étonnant lorsque l'on sait que Colin Cotterill vit en Thaïlande et va régulièrement au Laos, où il a d'ailleurs participé à plusieurs missions avec des O.N.G., pour la protection de l'enfance (notamment contre la prostitution enfantine).
Hélas, la dent du Bouddha manque d'ampleur. Lorsque l'on crée un personnage comme Siri/Yeh Ming, même si on veut lui donner un côté humain et un peu antihéros, on est obligé en quelque sorte, de lui faire vivre des choses vraiment extraordinaires. Je ne parle pas de déclencher des tollés d'effets spéciaux ou de mettre le monde en danger, pour le mettre en avant, mais au moins de donner le beau rôle ne serait-ce qu'une fois à Yeh Ming. Il s'agit d'un personnage ambivalent, alors que Siri le vieillard soit désinvolte et dépassé par la situation quand elle vire au surnaturel d'accord, mais l'auteur semble oublier qu'il a mis dans le corps de Siri un sorcier très puissant qui même s'il compte prendre sa retraite, se doit de se battre un peu pour sauver sa vie et celle de Siri.
Et il le fait plus ou moins (plutôt moins que plus), mais l'auteur reste focalisé sur Siri, sans doute pour ménager le suspense, et perd par là, la force de l'action et le fil ténu qui tient le lecteur en haleine. Bref si une partie du personnage est cohérente, l'autre partie est décevante, on ne ressent pas la force du sorcier, et c'est bien dommage parce que ça fait perdre de la force au texte. En fait, on nous promet quelque chose tout au long du livre, qui n'arrive pas, et c'est comme si l'auteur se trahissait lui-même et envoyait paître le lecteur. Si bien qu'à la fin on ne croit plus en son personnage, et lorsque l'auteur essaie maladroitement de réintroduire un peu de fantastique, ça tombe à plat.
On pourrait passer sur la faiblesse d'un personnage, en se disant que l'auteur se réserve pour plus tard, étant donné qu'il s'agit d'une série de romans, si le style et l'intrigue étaient à l'honneur. Mais re hélas, de ce côté-là ce n'est pas la fête non plus. Le style sans être réellement pauvre, n'est pas transcendant, loin de là. Les quelques métaphores qui émaillent le texte ne sont pas vraiment savoureuses ou originales. La seule qui a retenu un peu mon attention, qui est en fait plus proche d'une comparaison que d'une métaphore, est celle-ci : « Ces premiers mots sortirent, aussi mélodieux qu'une allée de gravier. », utilisée pour évoquer la voix éraillée de Siri au lendemain d'une « expérience culturelle », autrement dit d'une soûlerie à la vodka russe. Peut-être suis-je trop exigeant, ce n'est pas si grave que ça en soit.
Ce qui l'est par contre, ce sont les phrases mal construites voire avec des fautes de syntaxe, par exemple ne manque-t-il pas quelque chose dans cette phrase : « Après la première volée, les marches étaient en bois de cocotier, qui gémirent elles aussi sous ses pieds. ». Ou alors j'ai eu un exemplaire non corrigé et on ne me l'aurait pas dit.... Il y a aussi des phrases où l'on saute du coq à l'âne, « Les marches étaient pleines d'araignées, mais en se collant aux murs... En haut, il y avait encore des planches. » Pourquoi des points de suspension ? Et la deuxième phrase tombe comme un cheveu sur la soupe alors que l'on est toujours suspendu à la première. Je ne vous donnerai pas tous les exemples que j'ai relevés, ceux-ci sont assez parlants, et je ne vous ferai pas part de mon énervement en tombant sur de telles tournures. Je dirais juste que c'est frustrant et que ça fait décrocher de la lecture, voire si l'on est vraiment intransigeant ça donne envie de fermer le bouquin tout de suite.
Les intrigues pour finir sont sans grandes surprises et un peu fades. Les dénouements de celles-ci arrivent assez vite, pire ils sont annoncés et le lecteur comprend quasiment de quoi il retourne, beaucoup trop tôt. On n'a plus besoin de lire la suite pour imaginer la fin... Alors on se raccroche quand même au livre en un dernier espoir vaporeux, on se dit que c'est trop facile et que l'auteur en une magistrale dernière pirouette va nous surprendre. Et bien non ! De plus les deux intrigues développées n'ont rien à voir l'une avec l'autre. On a l'impression de se retrouver avec deux petites histoires du club des cinq. Il aurait mieux valu à mon sens se concentrer sur l'histoire du coffre royal, qui permettait de développer une intrigue intéressante, une bonne dose de surnaturel et un contexte historique et politique. Je ne suis pas forcément pour la règle classique de l'unité de temps de lieu et d'action, mais il faut bien avouer qu'une seule intrigue bien menée vaut mieux que deux mal développées et pas cohérentes.
Bref, c'est un livre qui avait du potentiel mais qui s'avère décevant. Lorsque l'on s'attaque à ces deux genres littéraires bien définis que sont le fantastique et le polar, il faut en connaître les codes et savoir s'en servir sinon on prend le risque de décevoir le lecteur. Et je préfère ne pas parler du style, je suis encore trop fâché à ce sujet-là.