Le 04/02/2019 à 16:11 par Auteur invité
Publié le :
04/02/2019 à 16:11
En partenariat avec ActuaLitté, chacun a pour mission de proposer un texte, faisant état d’un fait de société. Chloé Falcy s’en prend sans retenue aux pessimistes et cyniques de tout poil...
Difficile d’aborder la nouvelle année sans y penser. La planète va mal, on nous le répète sur tous les tons : surpopulation, ressources naturelles en baisse, océans lestés de milliards de plastiques, sols acides et pourris par des déchets dont nous ne savons plus que faire. Pour contrer ces nouvelles alarmantes, certaines personnes élaborent d’ingénieuses solutions : bâtir des fusées pour abandonner le navire qui prend l’eau, ou se faire cryogéniser en attendant que l’air soit à nouveau plus respirable. Toutefois, d’autres semblent avoir trouvé la parade ultime : ils s’en moquent royalement, et sont fiers de le dire.
Ceux-là, ce sont les cyniques. Ou les inconscients. La pollution, le tri des déchets, la montée des océans – et tous ces termes en vogue – ils s’en fichent. Ou ils n’en sont pas convaincus, car ils ne l’ont pas vu de leurs yeux vu. Modestement, j’ai bien conscience que ce n’est pas en écrivant des livres, en possédant un compost et en prenant les transports publics que je vais sauver la planète à main nue. À tout le moins, c’est un très humble début. Je prends toujours l’avion pour aller de l’autre côté du monde et je mange toujours des fruits hors saison.
Pire, il m’arrive encore de manger de la viande. Je comprends sans peine qu’on se rie de mes efforts incomplets et pathétiques. Comme dans le défi donné par le diable, ce n’est pas en tentant d’évider la mer à la petite cuillère qu’on en verra le fond.
Cela dit, ces autres personnes, celles qui ne poursuivent aucun cheval de bataille, me fascinent autant qu’elles m’interpellent. Peut-être que je les envie, tout simplement. J’envie leur manque de remords, leur refus total de se culpabiliser, d’admettre qu’elles ont fait quelque chose de mal. Si je mets une canette en aluminium à la poubelle, j’ai véritablement l’impression que je viens de contribuer à tuer un petit ourson sur sa banquise. Eux n’en perdent pas une minute de sommeil. On leur répète qu’ils ne devraient pas, qu’il faudrait peut-être faire un effort. Ils le savent, mais vous regardent avec une lueur de défi dans le regard, l’air de dire : « Et alors ? »
Depuis quelque temps, je m’interroge sur ce sentiment qui semble faire croire à beaucoup de personnes que leurs actions n’ont aucune conséquence. Ce sont de véritables chevaliers des temps modernes, se battant pour leur liberté, non pas à polluer, mais à faire ce que bon leur semble. Il y a cette personne qui fiche ses clopes dans les w.c. de peur que sa propre maison ne prenne feu.
Celui qui, chaque jour, flanque sa canette dans le champ au bord de la route depuis la fenêtre de sa voiture, en pensant qu’un miracle les fera s’évaporer dans les airs, comme de délicats pollens portés par le vent. Et beaucoup d’autres qui me donnent envie – si j’en avais les muscles nécessaires – de leur frapper la tête contre le mur.
Malgré mon admiration, je pense que ce refus d’assumer une part de responsabilité est symptomatique d’un sentiment étrange et mal placé d’éternité. C’est qu’ils se croient tout-puissants. Immortels. La mort, c’est pour les autres. Les responsabilités aussi.
Et quand les températures monteront ou que les précipitations s’affoleront, ils pourront toujours dire que c’est la faute de quelqu’un d’autre. Et lorsqu’on les place devant leurs contradictions, un pincement au creux du ventre, ils nous rétorquent la parade ultime, qui se passe de toute réponse : « De toute façon, je mourrai avant la planète. » Ça, c’est bien envoyé et ça se passe de toute riposte. Trump, Freisinger et Kim Jong-Hun n’auraient pas été plus éloquents.
Pourquoi devient-on cynique ? Pour se protéger de la déception que suscitent les espoirs inaboutis. Ils se montrent forts, alors qu’ils sont faibles. Ou peut-être parce que cela a plus de panache d’être un loup solitaire qu’un chaton prenant garde à recouvrir ses sels dans la litière. Si une canette d’alu jeté sur la chaussée ne témoigne pas d’un acte meurtrier, il dit beaucoup de l’égoïsme de son précédent possesseur.
Cette personne n’a rien demandé, alors qu’on ne lui demande rien. Peut-être est-ce là un des maux de notre siècle, ce sentiment d’individualité exacerbé. Il me semblait que, pour survivre, il fallait poursuivre un but commun. Du moins, c’est ce que mes parents me disaient quand ils tentaient de faire sens des rouages du monde dans lequel ils m’avaient amenée.
Aux cyniques, je voudrais leur dire : peut-être que vous avez raison. Peut-être qu’il est trop tard, que l’espoir est vain. Peut-être que le monde est voué à l’enfer et que nous brûlerons avec. Pourtant, je veux croire que nous ne sommes pas vivants pour attendre passivement la fin, être le jouet des événements. Nous le sommes pour nous battre jusqu’au bout, être stupides dans nos causes et notre espoir en quelque chose de meilleur et de plus grand.
Je veux croire à la portée de nos idéaux et, les cyniques, je les emmerde. Moi, j’admire les rêveurs, les idéalistes, ceux qui se casseront les dents et le cœur à se battre pour ce qu’ils estiment être justes. Pas pour se donner bonne conscience, mais parce que c’est la juste chose à faire. Ceux qui ne haussent pas les épaules, mais qui agitent le doigt, quitte à donner envie à leurs auditeurs de le couper. Ceux qui croient en la beauté des causes, même perdues, et qui refusent de montrer le cou en attendant qu’on les énuque. Au moins, ils auront essayé, et, ça, c’est déjà quelque chose.
Alors, n’écoutez pas cette voix intérieure ou cette personne à côté de vous qui vous répète que rien ne sert à rien. Trouvez-vous une cause à défendre, même partielle, même puérile. Et si le monde s’arrête de tourner demain, à défaut d’avoir eu raison, nous le quitterons au moins avec un peu d’éclat et de lumière au fond des tripes.
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