Mais en somme, quel est l’effet de la lecture sur notre cerveau ?
Le 25/03/2019 à 08:54 par Auteur invité
Publié le :
25/03/2019 à 08:54
Il est de bon ton aujourd’hui, de condamner les jeux électroniques et autres réalités virtuelles, accusées de divers maux. Au commencement des livres, il en était probablement de même, on craignait leur influence néfaste. Étaient pointés du doigt les risques d’isolement social, de perte de contact avec la réalité, de perturbations des humeurs, d’altération de la vue…
Petit rappel neurologique : afin que nous puissions lire, des aires cérébrales spécifiques à la reconnaissance de l’écriture sont apparues au fil de l’évolution humaine. Le lobe temporal gauche transforme les lettres lues en sons, un peu comme si nous entendions une conversation dans notre tête. La vision du mot provoque une sensation visuelle, puis la perception d’un objet-mot qui débouche enfin sur la perception du sens et l’articulation en langage oral.
Il semblerait également, selon diverses recherches, que des mots comme gingembre, cannelle ou jasmin stimulent les zones du cerveau liées à l’odorat. Il a également été démontré en faisant lire et écouter à des participants, d’une part des termes associés à la luminosité, d’autre part à l’obscurité et enfin des noms neutres, puis en mesurant la taille de leurs pupilles, qu’elles se dilatent avec les vocables liés à l’obscurité et se contractent au contraire lorsque sont employés les mots concernant la luminosité.
Ceci en comparaison avec les autres concepts et indépendamment de toute émotion et du type de stimulation, visuelle ou auditive. Donc, le sens des mots et les images mentales sont corrélés à une réaction de l’organisme semblable au réel, à savoir ici une modification de la taille de la pupille.
Au cours de la lecture, le cerveau simule tout ce qui est raconté. Vivre les péripéties d’un roman correspond donc bien à une réalité neuronale ! Les zones de l’encéphale actives lorsque nous lisons une histoire ont pu être identifiées, ce sont majoritairement les mêmes que lorsque nous vivons des émotions semblables dans la vraie vie. Les parties du cortex sollicitées dans l’exécution des mouvements s’animent de la même manière que si nous étions en train de bouger.
Quiconque s’est déjà senti happé par une histoire ayant perdu totalement la notion du temps et de l’espace au sortir d’un roman particulièrement marquant peut témoigner de cet effet. Nous sommes dans certains cas totalement et véritablement bouleversés par la mort d’un personnage ou à la conclusion du dernier tome d’une série.
Nous pouvons parfois émerger d’un livre avec la sensation non seulement intellectuelle, mais également physique d’avoir acquis de nouvelles compétences et de nous montrer capables de gestes que nous n’avions jamais accomplis auparavant. Il faut bien sûr toute raison garder : lire un manuel de chirurgie ne vous permettra pas d’ouvrir votre conjoint pour l’opérer de l’appendicite !
Finalement, quel est le rôle de cette réalité virtuelle ?
La lecture a ceci de magique qu’elle permet de littéralement se mettre dans la peau de l’autre, de changer d’identité et de système de valeurs au gré des pages lues. La fiction peut modifier nos croyances, car elle nous désarme complètement et nous nous laissons envahir d’un point de vue émotionnel, nous devenons alors plus malléables. Ainsi, les lecteurs développent leur empathie, car le même réseau neuronal est mobilisé pour la compréhension d’une histoire et l’interaction avec autrui. De même que les rêves, la fiction agit comme une sorte de logiciel de simulation sur le cerveau pour l’aider à mieux appréhender la complexité de la vie sociale et la gestion des problèmes. Cette ouverture d’esprit nous rend plus créatifs et plus performants dans nos réflexions.
En raison de l’immersion dans l’histoire lue, un des plaisirs de la lecture comporte un risque de basculement entre la distinction de la fiction et de la réalité, ce qui est également reproché au virtuel en général. À force il serait possible de ne plus distinguer le réel de ce qui ne l’est pas. Mais en principe, le contexte nous permet d’éviter ce syndrome de Don Quichotte. Un autre agrément consiste à se trouver à la merci d’un auteur, d’être abusé par les surprises que nous n’avons pas su anticiper.
Lire n’est donc pas une activité passive, nous l’avons vu. Intellectuellement, le lecteur met en place des suppositions sur la suite de sa lecture et ce n’est pas parce qu’il projette une psychologie sur un personnage de fiction qu’il n’a pas conscience du caractère fabriqué dudit personnage. Selon Wolfgang Iser dans L’Appel du texte, « L’intention du texte littéraire se trouve dans l’imagination du lecteur et non pas dans le texte lui-même ». Il existe autant de versions d’un même texte que de lecteurs, chacun projetant ses connaissances et son vécu sur ce qu’il lit.
Les expériences virtuelles des univers fictionnels remplissent de multiples offices, le plus important étant la fonction cognitive. Elles nous donnent la possibilité de simuler des réactions et des expérimentations sans que celles-ci ne soient sanctionnées par le réel. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Elles proposent en outre un rôle de réparation, mis en avant par la biblio thérapie, de compensation par rapport à des états de frustration, de stress ou de souffrance.
Les récits sont un de nos principaux moyens de communiquer et ils permettent aux lecteurs à comprendre comment pensent les personnages, et aussi ceux qui les ont imaginés, mais encore pourquoi ils se comportent de telle ou telle façon. En particulier, les enfants apprennent à développer leur pensée critique et à socialiser grâce aux histoires, ils exercent leur empathie, cultivent leur imagination et forment une pensée divergente plutôt que de chercher une réponse unique.
Quand ils lisent des narrations qui racontent la vie d’autres enfants, ailleurs dans le monde, ils apprennent à élargir leur horizon de pensée et à se connecter mentalement à des contextes différents du leur, remettant en cause les stéréotypes et la pensée unique. Ainsi, ils se préparent à aborder leur vie réelle en testant toutes sortes d’expérimentations au travers de la fiction.
Allez, sur ce je vous laisse, je vais faire du sport : la lecture de L’Équipe devrait faire l’affaire, non ?
Texte de Manuela Ackerman-Repond, publié dans le cadre du partenariat entre la Fondation pour l'Ecrit et ActuaLitté. Cette dernière propose un programme, De l’écriture à la promotion, offrant à 10 jeunes auteurs de découvrir l’industrie du livre. À travers ActuaLitté, leur est proposé un espace d’expression spécifique, où il leur était proposé de publier un texte en lien avec l’histoire littéraire.
Par Auteur invité
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