« Et avec ceci, ce s’ra tout, monsieur ? » Ben justement, j’aimerais bien prendre un peu de fromage, mais j’hésite. Parce qu’après tout la listeria n’est pas loin et que l’on m’a montré les images à la télé, particulièrement celles de cet enfant dans sa chambre d’hôpital qui en est mort. Ou alors, c’était l’encéphalopathie spongiforme bovine. Je sais plus trop, mais c’était un truc que l’on attrape avec la bouffe et ça, franchement ça m’a foutu la trouille.
C’est pareil que pour Noël, cette année, pas d’huîtres, parce qu’après le coup qu’y nous ont fait à Arcachon, hors de question que j’achète un truc qui va rendre tout le monde malade. Comment ça les deux victimes de 2006 n’avaient finalement rien à voir avec les huîtres ? Mouais, ça reste louche tout de même…
Et je parle même pas des MacDo. Ces réservoirs à graisses bourrés de produits douteux. J’ai entendu les rumeurs, et certaines sont sures. D’ailleurs quand on me dit que 90 % de ce qu’on utilise en guise de matière première pour préparer ces cochoncetés, proviennent de l’agriculture française, ben je dis qu’ça m’f’rait bien mal qu’ce soit vrai ! Nan, en France on sait faire l’agriculture, la vraie, celle du terroir d’avant.
Ah ouais, c’est certain. Avec toutes leurs usines qui polluent à tout va, y vont nous détraquer la planète les agriculteurs ! Y’a pas : c’était mieux avant. On prenait le temps de planter de semer et de récolter. Désormais y font tout à la va-vite pour le rendement et tout ça. Manquerait plus qu’on récolte le raisin avec des machines qui nous saloperaient tout le vin. Qui achèterait une AOC pas vendangée par la main de l’homme ou de la femme ? Une machine, ça fout tout en l’air, et ça y comprend rien au pinard !
Comme ces maudits Amerloques qui ont tenté de venir mettre leur grain de sable dans le Languedoc. « On veut racheter des parcelles de terrain », qu’y disaient. Pour améliorer la production, avec un chai ultra moderne et tout l’toutim ! Ben heureusement qu’y se sont pas laissés faire, les Languedociens. C’est pour ça d’ailleurs que les Americains sont partis en Italie. Nous, on a un patrimoine à préserver ! Et puis on n’a pas besoin de leur sale argent aux Ricains, on demandera au député d’augmenter les subventions.
Ça ! Heureusement qu’on sait se protéger, nous autres… Manquerait plus qu’ils nous importent des machins OGM. Comme si on avait besoin d’eux pour cultiver des légumes bien de chez nous, comme l’aubergine ou la betterave ou les patates… OGM, c’est encore un truc qui va tout nous dérégler l’organisme et faire grossir les enfants. Déjà qu’les miens sont pas bien minces. Mais si y sont gros, c’est pas leur faute, c’est que l’industrie agroalimentaire fait rien qu’à les engraisser.
Effrayant, non ?
Et pourtant, certaines de ces pensées lumineuses auront traversé l’esprit de certains d’entre nous, pas forcément de façon si grossière, ni sous des traits aussi caricaturaux, évidemment. Mais enfin, nous traînons tous des rancœurs à l’égard des cochons de Bretagne et des sols pollués, des OGM, des maladies que nous transmet notre nourriture… « Nous n’avons désormais plus peur de manquer, nous avons peur de manger », entame Michel Leblanc.
L’alimentation, mère de tous les maux, boîte de Pandore d’où toute angoisse tire ses racines. Ça prêterait à rire si Malbouffe Parano ne pointait avec justesse les mythes qui nous hantent dans notre rapport avec la nourriture. Et Michel, mon lapin, tu fais rudement bien de préciser que l’agriculture ne pèse pas les 0,4 % qu’on lui attribue dans le commerce mondial étant donné les liens qu’elle entretient avec tous les métiers qui en dépendent.
Un essai riche de questions, mais qui manque résolument de réponses. Pour autant que le sujet vous intéresse, ce livre présente un ensemble d’éléments qui titillent l’intellect, incitant à mieux penser notre rapport à la nourriture en particulier, mais surtout notre façon de penser l’agroalimentaire. Non que Michel se voile la face sur des problèmes avérés, ou qu’il les contourne : c’est en toute conscience qu’il met les pieds dans le plat. Le plus souvent pour nous émoustiller les papilles cérébrales.
Un seul reproche : c’est un peu court, jeune homme. Ça manque d’aromates et de sel, d’une persillade et de crème fraîche. On reste sur sa faim. Beaucoup de points abordés sont connus, ou du moins devinables. Pire, la réflexion s’arrête trop tôt, et c’est vraiment regrettable. Car à se fixer un simple état des lieux, Malbouffe Parano établit un inventaire qui devient douteux. Certes cela dérange, et dans le bon sens, a priori, mais trop d’affirmations gratuites et de faits malmènent la pertinence de l’ensemble.
À découvrir, au moins pour se faire une idée…