Un éloge des « moches », rien que ça, c'est ce que le membre de la rédaction du mensuel Historia Pierre-Louis Lensel a décidé d'entreprendre, à travers des portraits des plus célèbres représentants de la caste des gueules : aucune évocation de Jean-Claude Rémoleux ou Jean Abeillé, mais le tout petit boiteux et si grand artiste Toulouse-Lautrec, l'aussi petit comédien Mickey Rooney, la libre Madame Palatine dans de la cour de son beau-frère Louis XIV. Mais aussi le laideron au verbe haut Danton, le chanteur « extraterrestre » Klaus Nomi, le « crapaud » Sainte-Beuve, ou encore la « gueule cassée » Albert Jugon.
La beauté, toujours tributaire du contexte culturel, possède le pouvoir d'ouvrir des portes et de capturer les regards, on le sait. Elle est la clé qui déverrouille, persuade. D'Alcibiade à Che Guevara, en passant par Jeanne-Antoinette Poisson marquise de Pompadour, Jean Seberg ou Marylin Monroe, elle est un sésame culturel et social. Pour les anciens grecs et Nietzsche, la beauté était la vertu en soi. Socrate pense mal, parce qu'il est moche, l'Allemand moustachu est formel.
Face à l'harmonie, souvent assimilée à la noblesse, le laid est perçu, plus ou moins consciemment, comme « un signe et un symptôme de la dégénérescence ». Un physique déplaisant serait un indice d'hérédité funeste, de maladie, de pauvreté, d'inaptitude sociale ou intime, voire de méchanceté et de vilenie, constate l'auteur.
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Mais pourquoi celui qui participe régulièrement à l'émission de Franck Ferrand sur Radio Classique, a choisi de se concentrer sur ces figures, plus ou moins aimables, vertueuses, et aux réussites contrastées, plutôt que d'autres : car toutes peu ordinaires, elles ont relevé le défi de leur disgrâce, « parfois jusqu'au triomphe »...
Dans le théâtre de l'existence, les moins favorisés trouvent à l'occasion, en eux, une résilience et une ingéniosité qui surpassent la simple apparence. Là où le beau se repose, parfois languissant sur le laurier de ses dons visibles, le soi-disant « moche » forge son chemin avec une ardeur qui confine à l'art. Privé de l'éclat instantané du charme, il se doit d'innover, de se sublimer pour captiver, et même à son tour charmer. Gainsbourg est un sublime cas d'école. Tout le monde en connaît dans son entourage, et enrage...
Dans cet effort, le « moche » se sculpte une présence. Le beau, pendant ce temps, risque de se faner dans l'auto-complaisance, n'ayant jamais senti le feu de la nécessité de se transcender.
Pour découvrir comment un bel échantillon de ces types d'hommes et de femmes ont fait pour transformer leur faiblesse en force, il faut lire Éloge des Moches de Pierre-Louis Lensel.