Dans la lignée du roman populaire maritime du XIXème siècle et début du XXème siècle, le nouveau roman de , journaliste et navigateur, ravira les amateurs du genre mais risque bien également de prendre par surprise les lecteurs curieux, attachés aux Editions Gaïa, aux voyages en mer et aux récits d'aventures. Nul besoin, en effet, d'être féru de navigation, expert en batailles navales ou en histoire de la marine pour pénétrer le récit (pourtant très dense et érudit) et savourer un réel moment d'évasion et de divertissement.
Certainement à contre-courant de la littérature contemporaine, volontairement inscrite dans un style au charme patiné, l'écriture de Thierry Montoriol, élégante et précise, jamais austère et très visuelle offre au récit une atmosphère et une tonalité d'autrefois, convaincantes, subtilement adaptées à l'intrigue (dont les origines naissent sous le premier Empire), et proches de l'œuvre d'Alexandre Dumas.
Paris, 1986. La France s'apprête à signer un accord commercial et industriel historique avec les Etats-Unis mais ces derniers exigent le paiement d'une dette avant signature : "vingt millions de francs-or pour un préjudice infligé par les corsaires français à leur commerce entre 1798 et 1803". Une somme qui aurait dû être déduite du montant de la vente de la Louisiane par Bonaparte. Et réclamée moyennant un taux d'intérêt de 6% par an, "soit environ quatre-vingt-cinq mille milliards".
Le commissaire Célestin Coquillard, adjoint au directeur de la section de police judiciaire chargée des Affaires culturelles et Robert Matois, directeur de la brigade des Contrefaçons industrielles et artistiques (BCIA) sont chargés de trouver le moyen de contester la nature de cette dette, notamment en replongeant deux siècles en arrière à bord du Couguar, parmi la famille Kervillis, corsaires (et non pirates) de père en fils. Une enquête sans temps mort, pleine d'énergie, à la fois torride et complexe, aussi légère et drôle qu'instructive et documentée, semée d'embûches, de désirs de vengeance et d'espions, de passions amoureuses, qui mène les enquêteurs plus de deux cents ans en arrière, du Venezuela à Cuba, de Paris à l'Ile-aux-Moines.
Excité de curiosité par une intrigue à la fois politique et historique méconnue, amusé par le duo d'enquêteurs, exalté par les scènes de navigation intensément rythmées de tempêtes ou de batailles, séduit par les paysages exotiques ou ceux de la côte bretonne, ballotté avec intérêt entre deux époques, toujours en mouvement, le lecteur chemine à travers le roman, sans ennui, captivé et impatient de tout comprendre, avide à la fois de connaissances et de distraction.
Des techniques de navigation très détaillées (glossaire utile en fin d'ouvrage), des subtilités de droit maritime, des explications fouillées sur les relations franco-américaines au XVIIIème siècle, des descriptions colorées et expressives, l'auteur n'omet rien, passionné et disert. Ses personnages, tous héroïques et picaresques, d'une force plus théâtrale que réaliste, divertissent spontanément.
Si les ancêtres des Kervillis sont plus hauts en couleurs que leurs contemporains, si le lecteur se réjouit peut-être davantage lorsque l'histoire est ancienne, se complait mieux dans cette ambiance délicieusement surannée ; les deux enquêteurs volontairement décalés lui permettent, lorsque l'histoire bascule de nos jours, de ne pas complètement se dessaisir de ce parfum désuet absolument enchanteur.
Prochainement sur Actualitte.com, l'interview de Thierry Montoriol, invité du dernier festival Etonnants Voyageurs.