C'est un grand nom du cinéma français qui disparaît ce 31 juillet 2017 avec la mort de Jeanne Moreau, à l'âge de 89 ans. Elle fut au cœur d'un grand nombre d'adaptations, du début de sa carrière, lorsque le cinéma français adapte la série noire de Gallimard à tour de bras, au culte Jules et Jim de François Truffaut, d'après le roman d'Henri-Pierre Roché, en passant par Nathalie Granger de Marguerite Duras ou Le Dernier Nabab d'Elia Kazan, d'après F. Scott Fitzgerald.
Le 31/07/2017 à 13:07 par Antoine Oury
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31/07/2017 à 13:07
Les premiers pas d'actrice de Jeanne Moreau se font en octobre 1946, comme auditrice à la Comédie-Française, avant plusieurs passages sur les planches, notamment au festival d'Avignon de l'année suivante. Alors qu'elle est pensionnaire de la Comédie-Française, elle commence sa carrière au cinéma avec l'adaptation d'un roman : celui de Georges Ohnet, Dernier Amour, adapté par Jean Stelli en 1949 sur un scénario de Françoise Giroud.
Le théâtre, à la Comédie-Française puis au TNP de Jean Vilar, lui permet d'être remarquée par les producteurs et réalisateurs, dont Orson Welles. Si Jeanne Moreau se consacre surtout au théâtre à la fin des années 1940 et au début de la décennie 1950 (dans des mises en scène de Pierre Dux et Jean Meyer, notamment), elle renouera ensuite avec le théâtre dans les années 1970. En 2010 et 2011, elle jouait encore Le Condamné à mort de Jean Genet.
Après quelques rôles au cinéma, Touchez pas au grisbi, en 1954, inscrit définitivement son visage et son jeu dans la tête des spectateurs : l'adaptation du roman noir d'Albert Simonin en annonce bien d'autres, qui relieront définitivement Jeanne Moreau à cette tendance du cinéma français pour l'adaptation de la Série noire et du roman policier en général.
Au cours de la décennie 1950, elle tourne ainsi dans des adaptations des romans de Jacques Robert, Georges Bayle, Francis Carco, Nancy Rutledge, André Duquesne, Noël Calef (le fameux Ascenseur pour l'échafaud, de Louis Malle, en 1958), Pierre Boileau et Thomas Narcejac, Peter Vanett, Frédéric Dard... Signalons aussi ses rôles de Marguerite de Valois dans La Reine Margot de Jean Dréville en 1954, d'après le roman d'Alexandre Dumas père, et de Juliette Valmont, mariée au vicomte de Valmont dans Les Liaisons dangereuses 1960, d'après le roman de Pierre Choderlos de Laclos.
Elle apparaît aussi dans Moderato cantabile, en 1960, film de Peter Brooks qui adapte le roman du même titre de Marguerite Duras, publié en 1958, qu'elle retrouvera quelques années plus tard, d'abord en 1966, dans Mademoiselle de Tony Richardson, dont Duras signe le scénario avec Jean Genet, puis en 1967, avec l'adaptation du Marin de Gibraltar par Tony Richardson, toujours.
Dès 1962, Moreau prend la Nouvelle Vague avec François Truffaut, dans Jules et Jim, adaptation du roman d'Henri-Pierre Roché et, la même année, tourne sous la direction d'Orson Welles dans l'adaptation du Procès de Franz Kafka. Elle retrouve Louis Malle l'année suivante pour Le Feu follet, adapté du roman de Pierre Drieu la Rochelle. Elle croise de nouveau Orson Welles en 1965 pour Falstaff, inspiré des pièces de Shakespeare et de Raphael Holinshed, et François Truffaut en 1968 pour La mariée était en noir, d'après le roman policier de William Irish. En 1964, elle a rencontré un autre grand réalisateur, Luis Buñuel, pour Le Journal d'une femme de chambre, d'après Octave Mirbeau.
Elle reste une actrice incontournable, tant en France qu'à l'international, au cours de la décennie 1970 : elle tourne de nouveau dans une adaptation d'un roman de Marguerite Duras, Nathalie Granger (1972), mais c'est cette fois l'auteure qui tient la caméra, avec Benoît Jacquot et Rémy Duchemin. En 1974, nouveau film culte à son actif avec Les Valseuses de Bertrand Blier d'après son propre roman paru deux ans plus tôt. En 1976, un grand rôle à l'international vient compléter sa filmographie, dans Le Dernier Nabab d'Elia Kazan, d'après Francis Scott Fitzgerald.
D'autres adaptations suivront, plus ou moins prestigieuses : celle d'Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable de Romain Gary, en 1981, par George Kaczender, du roman de Lawrence Meyer Gare à l'intoxe ! avec Mille Milliards de dollars d'Henri Verneuil (1982) ou de Querelle de Brest de Jean Genet par Rainer Werner Fassbinder (Querelle, 1982).
Si ses rôles se font plus rares dans les années 1990, Jeanne Moreau retrouve une nouvelle fois l'écriture de Marguerite Duras dans L'Amant, adaptation du roman réalisée par Jean-Jacques Annaud en 1992. Deux ans plus tôt, c'est la diva Doria Doriacci du roman La Femme fardée de Françoise Sagan que Moreau incarnait dans le film de José Pinheiro.
À partir des années 2000, Jeanne Moreau limite ses apparitions au cinéma : comme pour boucler la boucle, elle incarne Marguerite Duras en 2001 dans Cet amour-là de Josée Dayan, consacré à la relation amoureuse entre l'auteure et Yann Andréa. Parmi ses derniers rôles, signalons celui dans le film d'Amos Gitaï, Plus tard tu comprendras, en 2008, d'après le roman de Jérôme Clément.
Frédérique Bredin, Présidente du Centre national du cinéma et de l’Image animée (CNC) a souhaité rendre hommage à Jeanne Moreau : « Le cinéma est en deuil. Une immense actrice vient de nous quitter. Inoubliable Catherine dans Jules et Jim, Jeanne Moreau a bouleversé au travers tous ses rôles les codes du cinéma. Elle a travaillé avec les plus grands et transformé l’image de la femme. Nous avons vécu au rythme de ses apparitions, nous avons admiré sa liberté absolue, son engagement, sa force. C’était une femme lumineuse. Son immense talent, sa voix envoûtante resteront à jamais dans nos mémoires. »
Françoise Nyssen a également rendu hommage : « Jeanne Moreau fut une immense artiste. De celles et ceux auxquels aucun hommage ne saurait rendre véritablement justice, tant son œuvre fut riche, et son empreinte profonde. De celles et ceux qui laissent une trace dans chacune des existences qu’ils croisent, et qui ne nous permettent pas de les oublier.
Elle restera dans toutes les mémoires. La nôtre : celle de ses contemporains, dont elle aura éclairé l’existence, par son talent, sa présence, sa voix. Elle restera dans la mémoire du théâtre, qui fut son premier terrain d’expression, et duquel elle ne s’est jamais éloignée – elle restera notamment dans la mémoire du festival d’Avignon, qu’elle a connu dès la première édition en 1947, et qui la verra pour la dernière fois en 2011.
Elle restera dans la mémoire du cinéma, où elle a incarné l’exigence et l’avant-garde « à la française ». Portée par Louis Malle, qui lui offre son premier grand succès avec Ascenseur pour l’échafaud, elle sera l’une des icônes de la Nouvelle vague, avec entre autres l’inoubliable Jules et Jim, de François Truffaut. Elle travaillera avec les plus grands réalisateurs du monde entier – d’Orson Welles à Michelangelo Antonioni en passant par Luis Buñuel, Theo Angelopoulos, Joseph Losey, Wim Wenders ou encore Amos Gitaï. La liste est longue de tous les cinéastes avec lesquels elle a collaboré, jusqu’aux toutes dernières générations, qu’elle n’a cessé de soutenir et d’inspirer.
Elle marquera également la mémoire de la télévision, par la grande complicité qui la liait à la réalisatrice Josée Dayan, notamment, et celle de la chanson – depuis le Tourbillon de la vie, avec le grand Serge Rezvani, jusqu’au Condamné à mort, poème de Jean Genet mis en chanson par Etienne Daho.
Jeanne Moreau nous a fait grandir, par l’intelligence de son jeu, par l’audace et la modernité permanentes de son propos. Elle nous a émus, elle nous a surpris, passionnés, fascinés : elle nous a fait vivre, en somme. »
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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