Derrière le rideau

Cette semaine, j’ai lu Pantelleria —La dernière île de Guisuè Calaciura, édité par Notabilia

« Avant, elle n’était pas là, puis elle a émergé - et par son destin, par sa situation géographique et sa place dans l’Histoire, un peu d’ici, un peu de là-bas, tunisienne et sicilienne, Phénicienne et Romaine, Européenne et Africaine, cette île surtout les frais d’une querelle transcendantale. » (26 p.)

L’auteur décrit une île volcanique de sa découverte au XIXe siècle : « Enfermée par la mer dans la très profonde solitude de la Méditerranée, celle-ci a un regard vertical : depuis la terre arrachée avec les ongles au volcan, cultivée avec peine et selon un ordre presque métaphysique, droit jusqu’au ciel qui dans les nuits limpides, montre les cultures serrées, intensives,de ses constellations. Peut-être est-il aussi la métaphore de la condition humaine. » (65 p.)

Ce récit poétique souligne plusieurs phénomènes très contemporains présents sur l'île, et plus globalement sur l'ensemble du globe. On peut citer par exemple la pollution des sols, exploitation de gisement de pétrole excessif, raréfaction des poissons, vagues de réfugiés climatiques... tous causés par des actions de l'homme.

Giosuè Calaclura est né à Palerme en 1960, il vit et travaille à Rome. Journaliste, il écrit aussi pour le théâtre et la radio. Sept de ses romans ont été traduits en français dont Bergo Vecchio.

ACTA EST FABULA... Le rideau tombe sur la série De Cape et de Crocs (Delcourt) d'Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou. Une publication commencée en 1995 et prévue au départ en trois volumes... et voilà le dixième ! AURI SACRA FAMES ? Un délayage honteux motivé par l'argent ? Que nenni, que nenni !!! 

Si l'on doit choisir un mot pour caractériser De cape et de crocs, c'est : fantaisie ! Fantaisie des auteurs élaborant cette histoire dans l'esprit de l'improvisation théâtrale, selon l'humeur ou l'inspiration du moment. Fantaisie des personnages venant pour déclamer une seule tirade et en vrais cabotins, finissant par s'accaparer une scène entière.

Fantaisie d'un univers faisant se télescoper la folie visuelle d'un Tex Avery et l'invention verbale de la commedia dell'arte. Et bonheur de conclure par une belle fin qui nous laisse nostalgiques... mais sans regret : ITE MISSA EST !!! Souvenons-nous : au départ, Don Lope de Villalobos y Sangrin, loup espagnol, et Armand Raynal de Maupertuis, renard gascon, se lancent dans une course au trésor dans l'Europe du dix-septième siècle.

De Cape et De Crocs

Alain Ayrole et Jean-Luc Masbou

sur BDfugue.com

De rebondissements en péripéties, ils vont jusqu'au bout du monde et même au-delà. Ils se lient d'amitié avec le lapin Eusèbe, rencontré sur un banc de galère : un peu gaffeur, mais plein de bonne volonté, il les tire plus d'une fois d'un traquenard. Ils croisent le Raïs Kader, corsaire Ottoman, qui leur prête main forte d'abord par intérêt puis par amitié, et le savant fou - mais génial - Bombastus.

Ils trouvent l'amour sous les traits respectifs d'Hermine, ardente gitane, et de la diaphane Séléné. Ils combattent le pirate Boney Boone - et ses hommes, au moins aussi bêtes que méchants - ainsi que le Capitan Mendoza, génie du mal. Ils explorent la lune et son royaume fantastique... Ouf !

Ce qui rend De Cape et de Crocs irrésistible jusqu'à cet ultime épisode, c'est la joyeuse érudition d'Ayroles et Masbou, qui leur permet de multiplier les allusions, parodies et pastiches, tant au niveau du dessin que du texte, et sans que cela devienne pédant ou assommant. 

Les noms des deux principaux personnages sont une révérence au Roman de Renart mais leurs aventures évoquent plutôt Alexandre Dumas et ses mousquetaires, ou Robert-Louis Stevenson et ses pirates. L'évocation du royaume lunaire ?

Cyrano de Bergerac, bien sûr (le vrai, pas celui d'Edmond Rostand) ou les voyages fantastiques de Jonathan Swift ! De Cape et de Crocs est aussi un hommage aux fabulistes Ésope ou la Fontaine : loup, renard, lapin, cigogne (pas de raton-laveur) doués de parole présentent des caractères typés jusqu'à l'exagération, pour fustiger les travers humains.

Mais de plus, ils évoluent au milieu d'animaux et d'humains "normaux" créant ainsi une réjouissante absurdité et installant un climat burlesque. Ajouté au foisonnement du dessin, tout cela confine au "nonsense" !!! Et fort logiquement, cette bande dessinée qui est une véritable déclaration d'amour au théâtre classique est incarnée au fil des ans sur les planches - en bois, celles-là - par plusieurs troupes adaptant l'univers d'Ayroles et Masbou ou jouant Le Médecin Imaginaire, Impromptu en un acte et en vers écrit par Alain Ayroles. De Cape et de Crocs ?

Moi en mieux, de 

Kyung-Eun Park, Antoine Ozanam

sur BDfugue.com

Une série à lire et relire, pour le plaisir et pour découvrir les détails qui vous échappent au premier abord ! Il y en a forcément... DOCTUS CUM LIBRO !!!

Mais jetez un coup d'œil à celui-ci...

Dans Moi en Mieux (Casterman) d'Antoine Ozaram et Kyung Eun Park, Valentin Choupeau, excellent pâtissier, mais piètre homme d'affaires trouve l'idée du siècle pour pallier la défection de son associé Maxime parti faire du business aux États-Unis : fabriquer un Golem qui bossera à sa place et lui permettra de passer plus de temps avec sa femme et ses enfants.

Bingo !

Sauf que le Golem est à ce point réussi qu'il lui pique sa place et le chasse littéralement de sa propre vie... Un thème classique du romantisme allemand et du fantastique d'Europe centrale délocalisé dans la province française et le commerce de détail !!!

C'est plutôt rigolo, absurde et le dessin a du caractère. A découvrir !

Le 21 octobre 79, Marcus, un noble aristocrate, débarque au port de Pompéi, inconscient que le Vésuve, cette montagne qui surplombe paisiblement la ville, s'apprête à entrer en éruption en seulement trois jours. Animé par l'espoir de retrouver ses enfants, comme lui avait prédit un devin, il parcourt une Pompéi en pleine mutation.

Les élites traditionnelles de la cité ont vu leur influence décliner face à l'ascension fulgurante des esclaves affranchis, qui, en tant qu'artisans et commerçants, ont su bâtir d'impressionnantes fortunes. À sa grande surprise, Marcus découvre que ses trois enfants, bien que rescapés d'un séisme, sont désormais esclaves.

Grâce à l'intervention de Massimus, un affranchi chrétien, il parvient à retrouver son fils aîné, Julius, qui s'est illustré comme le gladiateur le plus renommé de Pompéi. Au cours de ses pérégrinations, il recroise également le destin de Rectina, son amour d'antan. À travers les yeux de Marcus, Gilbert Bordes nous emmène dans une immersion fascinante au cœur du quotidien de cette ville romaine, étonnamment moderne à certains égards, mais marquée par des traditions telles que l'esclavage et les jeux du cirque.

Un morceau d’histoire, intelligemment raconté, dans une fiction qui plonge au plus près des coulées de lave. Un petit plaisir qu’on ne boude pas.

L'envahisseur est à nos portes...de poulaillers. On ne sait pas d'où il vient et ce qu'il veut mais les poules commencent à prétendre que les vers de terre viennent à manquer. Une seule solution, bâtissons des murs si hauts que ces petites créatures ne puissent franchir et protégeons nous! Et c'est ce que firent les poules devant la basse-cour médusée. Pourtant, tout l' hiver durant, les poules étaient tellement occupées à se mettre à l'abri que la vie et les saisons filèrent, sauf l'envahisseur, puisque il fut pris au piège dedans.

L'amitié et la méconnaissance de l'autre semblent des sujets qui tiennent à cœur à . Il nous avait amusés avec son personnage paranoïaque Edgar le rat. Il fait une petite apparition dans ce nouvel album et il prit, rappellez-vous, sa queue pour un importun. Au delà de la petite histoire drôlissime et absurde, l'album pose un second niveau de lecture traitant de la xénophobie, Jean-François Dumont y glissant quelques allusions évidentes pour qui sait regarder. Le choix des poules et du hérisson fait référence aux dits "voleurs de poules et mangeurs de hérissons", les Roms. Un niveau existant sans l'autre mais les deux se complétant, Une poule derrière un mur est un album plus riche d'enseignements que ne le suggère sa simplicité.