Histoire d'une enfant de Vienne

Ferdinand von Saar

En 2022, les éditions Bartillat faisaient paraître un inédit de l'Autrichien peu connu, mais important, Ferdinand von Saar, Le Lieutenant Burda. La nouvelle révélait un auteur émotif et grinçant de la seconde moitié du XIXe siècle viennois, alors centre de l'ancien empire d'Autriche-Hongrie. Grand lecteur de Schopenhauer, toute son œuvre est traversée par un profond pessimisme. D'autres parleront de réalisme, comme pour Maupassant, autre géant de la nouvelle et de la lucidité.

Après le soldat qui a voulu changer de sang, la femme qui a voulu s'étendre comme une ville. Deux descentes aux enfers. Elise se marie, mais le quitte par arrivisme social. Dans la déchéance de la jeune fille de Vienne, le rôle d'un critique littéraire, sorte de Méphisto déguisé... 

Cette Vienne annexe les faubourgs, tout en étant rongée de l'intérieur : les valeurs d'antan s'y flétrissent, comme l'automne avant l'hiver. Vienne de sa musique : Mozart, les Strauss, face à la menace de ce diable de Wagner, contre lequel on résiste...

De l'industrialisation émerge de nouvelles fortunes. La structure sociale traditionnelle se délite : à côté de l'ancienne aristocratie, principalement littéraire et étatique, les hommes d'affaires deviennent des figures centrales dans une société de plus en plus libérale, tant sur le plan économique que moral. Très peu pour cet anti-moderne de Ferdinand von Saar...

Une peinture fascinante d'un temps aussi lointain que celui d'Orphée, mais avant tout des qualités narratives : pas de gras dans cette longue nouvelle ou ce court roman, une intrigue qui s'étend sur une vingtaine d'année, - des années 1860 à 1880 -, et un moment, le sentiment de pitié pour ce personnage jouet de forces sociales qu'elle ne maîtrise pas, comme Burda l'était de ses fantasmes.

Comme pour Le lieutenant encore, on suit l'histoire à travers un narrateur, qui est l'auteur dans une grande mesure, parti prenante, observateur, témoin, enquêteur. La prose claire, directe et fluide de Ferdinand von Saar séduit : un plaisir peu commun de découvrir des descriptions richement élaborées, à l'ancienne.

Il y a du Henry Céard, qui a écrit « le roman le plus dépressif de la littérature française » selon Charles Ficat, Une belle journée, chez Ferdinand von Saar. Une « vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même », dirait l'auteur de La Petite Roque.

L'Austrichien a souffert de son avance sur le grand temps de son sujet : Vienne, avec son « Apocalypse joyeuse » incarnée par des figures telles que Hugo Von Hofmannsthal, Karl Kraus, Stefán Zweig, Gustav Klimt, et les pionniers de la psychanalyse, marchera sur ses pas, reconnaissante.

Une michronique de
Hocine Bouhadjera

Publiée le
02/02/2024 à 18:21

Commenter cet article

 

Histoire d'une enfant de Vienne

Ferdinand von Saar trad. Jacques Le Rider

Paru le 04/01/2024

138 pages

Bartillat

20,00 €