Si les éditeurs américains aiment jouer sur le cartoon et les gags à gogo, ils sont particulièrement friands de l'humour anglais, décalé et différent du premier degré qui s'illustre sur les pages des journaux à la “Dear diary”.
À en juger par le nombre de titres qui traversent l'Atlantique en provenance du Royaume-Uni, on peut se dire que partager une langue peut aider, certes, mais cela ne fait pas tout. La plupart du temps, les textes et les couvertures d'origine sont retouchés et adaptés avant d'être diffusés sur le territoire américain, tant les différences culturelles et linguistiques sont nombreuses.
Toutefois, l'essence même de l'humour anglais reste intouchable, et c'est ce qui fait son charme. Ses ressorts comiques, de l'ironie à l'éclatement des genres, déclinent toute la palette du nonsense.
Certains textes ont la particularité de manier l'ironie avec beaucoup d'habileté, comme la série anglaise , de , dont le tome cinq est annoncé pour novembre (Orchard). Sur un ton faussement sérieux, le lecteur découvre la vie de Norman, un garçon normal dont chaque geste du quotidien devient prétexte à rire.
L'auteur Lauren Child, quant à elle, maîtrise l'art du pastiche en mettant en scène les aventuresde la meilleure espionne de tous les temps dans sa série Ruby Redfort (Candlewick / Milan). Le tome trois est sorti ce printemps aux États-Unis ; les lecteurs français ont maintenant le plaisir de pouvoir lire le tome deux, publié cet été.
Les librairies américaines mettent en avant la série construite autour du flegmatique Tom Gates, dont le tome cinq est sorti ce printemps. Distrait, Tom Gates est aussi pince-sans-rire que le journal qu'il tient. L'auteure, Liz Pichon, a remporté le Prix Roald Dahl de l'humour (Scholastic / Le Seuil). En France, le troisième tome de la série est paru avant l'été.
L'humour anglais n'a pas peur du mélange des genres. Parmi les séries très attendues cette rentrée, on compte Dark Lord de Jamie Thomson, également récipiendaire du Prix Roald Dahl de l'humour (Walker / Bloomsbury). En France, on connaît de cet auteur la série La voix du tigre, écrite en collaboration avec Mark Smith, parue dans les années 90 (Hodder / Gallimard, collection Folio Junior). Les deux premiers titres de Dark Lord sont présentés par l'éditeur comme à mi-chemin entre Le Journal d'un dégonflé et Le seigneur des anneaux (sic).
La fantasy humoristique est en vogue : au début novembre sortira l'édition spéciale du Peuple du tapis comprenant une version du texte publiée en 1971, écrite par Terry Pratchett à l'âge de 17 ans, une version plus récente ainsi que des illustrations originales de l'auteur (Doubleday / Clarion Books). En France, la dernière publication du texte date de 2009 (J'ai lu).
Petit bijou graphique et ode à la fantaisie du nonsense, le magazine anglais Anorak (The Anorak Press) est diffusé sur le continent américain par la maison d'édition Gibbs Smith. Le Huffington Post le décrit ainsi : “Anorak, c'est comme si les Monty Python, Ralph Steadman* et René Magritte s'étaient réunis dans le but de concevoir un magazine pour les enfants. C'est anarchique, drôle, étrangement tordant et parfait pour les enfants de tous âges”. Cette rentrée, l'éditeur américain publiait le numéro quatre du magazine fondé par Cathy Olmedillas ainsi qu'un numéro spécial très fourni. Lancé en 2006 au Royaume-Uni où il est publié cinq fois par année, il s'adresse aux enfants de six à douze ans. La version française en est à son numéro deux. La revue, au graphisme particulièrement soigné, contient tous azimuts des histoires, des activités de bricolage, des coloriages, des jeux...
Le nonsense si caractéristique de la culture anglaise plaît beaucoup outre-Atlantique, à tel point qu'il façonne l'imaginaire de certains créateurs américains. L'imagier inspiré par le poème “Jabberwocky” de Lewis Carroll (De l'autre côté du miroir) en est un bon exemple (Gibbs Smith, collection BabyLit). Adapté par Jennifer Adams et illustré par Alison Oliver, l'imagier, sorti à la rentrée, rend bien compte de la folie poétique de Carroll.
Les littératures jeunesse anglophones sont donc autant de branches d'un même tronc culturel. Cependant, latins et Anglo-saxons, eux, ont des racines bien distinctes, et certains concepts sont parfois tellement liés à une culture qu'ils semblent moins bien s'exporter. Bientôt, nous vous présenterons quelques titres qui, typiquement américains, ont du mal à conquérir... la France!
*NDLR :Ralph Steadman est un artiste anglais, dessinateur de presse et caricaturiste