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J'étais déjà lecteur avant de devenir auteur. Et je lirai toujours si jamais je me lasse d'écrire. Avec mon livre sur l'enfer aux Éditions de la Différence, j'ai la chance d'écrire, pour changer, un vrai livre de lecteur.
Avec les Editions de la Différence
J'ai pour le concevoir joui à fond des trois plaisirs de la lecture : la chasse au livre approprié dans une bibliothèque à 7 millions de références (la BnF), la pêche aux grands souvenirs en rouvrant chez soi les livres de toute une vie, la cueillette des conseils de lecture provenus d'amis pertinents. Plaisirs primitifs. J'ai poursuivi l'enfer à travers une forêt de livres.
Ce sont souvent les plus grands esprits de leur temps qui ont cultivé la mythologie des lieux infernaux et entretenu la mémoire des outrances qui s'y déroulent. Immenses poètes, philosophes importants, religieux sanctifiés. Leur imagination fertile est comme du vin jamais éventé, qui enivrait hier et qui enivrera demain. L'enfer qui noue la mort à la violence, qui fait de l'humain sa pâture, nous sublime en définitive.
Il attire donc des écrivains magnifiques, mais aussi des scribes plus naïfs, qui, enchantés de la mort comme d'une vitamine à leur talent, échappent à la médiocrité d'un trait de plume.
L'anthologie de leur diversité, depuis neuf siècles avant Jésus-Christ jusqu'à hier, est pour moi l'histoire d'une increvable violence de ton devant la mort.
Au raccourci pour l'enfer que constitue le choix de 204 auteurs par un lecteur halluciné de lire ce qu'il lit, car le voyage secoue la boussole, s'embranche un non moins géographique échantillonnage d'images. Correspondances notoires entre le visible et l'écrit. Par des images poignantes, une même véhémence des sentiments.
Des œuvres anciennes aux inédites, des plus archaïques aux plus contemporaines, des graphiques aux picturales, du fusain au vermillon, du cobalt à la sculpture, la cruauté de la condition mortelle et du désordre infernal s'expose aux yeux, ou avec gravité ou avec de la peur, ou encore avec un humour qui sauve : Goya mais Arman. Delacroix mais Daumier. Zurbaràn mais Félicien Rops.
L'écriture d'Ernst Jünger mais le travail de Michel Aubry (je vous recommande ses deux expositions personnelles simultanées, au Credac d'Ivry-sur-Seine jusqu'au 15 décembre, et à Paris 3e à la galerie Eva Meyer jusqu'au 14 décembre 2013). À la folie qui emporte en enfer les hommes de plume répond le formidable discours muet de l'art, qui lui aussi, n'est-ce pas étrange, raconte des histoires.
Hugo Lacroix