La couleur du sable

La lecture est une activité d’hiver, d’intérieur même, si possible au coin d’un bon feu. Août est ainsi synonyme de torpeur pour les libraires, qui attendent impatiemment la rentrée littéraire de septembre. Seulement, voilà, certaines communes amies de la lecture ont décidé de renverser l’ordre des choses.

Que ce soit à Boulogne sur Mer, Biscarosse ou encore la fameuse Paris plages, les bibliothèques ont pris leurs quartiers d’été. L’idée : aller à la rencontre du public.

Elles se sont donc installées à même le sable. Dans une cabine de plage à Drehen, sur l’île aux Moines ( 56), près de l’école de surf à Biscarosse (Landes) ou encore dans une cabane (Cap d’Adge), le procédé se répand et s’adapte à merveille à son nouvel environnement : transats, parasols, coussins, hamacs.

L’idée est bonne, le public est ravi et répond présent : « Nous avons eu en moyenne 60 à 70 personnes par jour avec un pic à 90 même les jours où la météo était moins clémente », confie Marjorie Brogniez, responsable de la bibliothèque de Biscarrosse, à l'AFP.

Là-bas, les 5 bibliothécaires se relaient pour assurer le service entre le lieu habituel et la plage. A Valras-plage (Roussillon) ou sur l’Ile aux Moines, les livres sont en libre service. À Paris, sur la plage de pavés, il suffit d’échanger une pièce d’identité pour s’octroyer un temps de rêve.

Ces opérations, le plus souvent à l’origine des communes, sauf Paris où il s’agit d’un stand Flammarion, ne sont pas les premières à tenter de favoriser la lecture.

Période estivale égale voyages, la SNCF a lancé l’opération « passe livres » grâce à laquelle vous pouvez emprunter un livre dans une gare, pour le rendre dans une autre à l’opposé du pays. Une belle manière de faire voyager le lecteur, et les mots.

est à l'aise dans tous les styles. Il y a quelques mois, nous l'avions rencontré pour parler de sa trilogie Terre Noire(Voir l'interview) et aujourd'hui c'est dans un parking souterrain, lieu énigmatique ou débute le troisième volet de Chasseur Noir, L'enchanteur de sable, que l'on se retrouve. Du piano au parking, les ambiances se suivent mais ne se ressemblent pas. Rencontre.

Michel Honaker - L'enchanteur de sable
envoyé par LesHistoiresSansFin

En cette fin d'après midi de fin du mois de novembre, Macario abandonne sa maison où, retraité, il vit seul avec son ordinateur sur lequel il passe des heures incalculables à surfer, pour prendre le chemin qui traverse la lande et mène au village, là-bas, après l'abribus où plus aucun autocar ne s'arrête jamais.

Une promenade solitaire, cent fois effectuée qui, pourtant, ce jour-là, va prendre des allures de cauchemar quand, posant malencontreusement le pied dans un trou du chemin, il se tord violemment la cheville gauche et se retrouve, là, cloué sur le banc de l'abribus, sans pouvoir seulement refaire un pas vers son chez lui ou alerter quiconque, la batterie de son téléphone, au fond de sa poche, étant à plat.

Ironie du sort, venant du village où il a réussi à placer quelques contrats d'assurance vie dans la journée, Ismaël T. se promène en sens inverse de Macario sur le chemin et se tord identiquement la cheville (mais lui, c'est la droite) sur une pierre du chemin et se retrouve, lui-aussi, bloqué sur place par la douleur.

Entre les deux hommes que séparent la nuit, un coude du chemin et des oliviers qui les empêchent de se voir, s'engage alors une conversation que rythment successivement les croassements d'un corbeau solitaire posé sur l'abribus, les hululements d'une chouette qui les écoute depuis un proche olivier où elle est perchée, le chant de deux grillons qui, alternativement, se racontent des histoires qui échappent aux deux blessés et le jeu de cache-cache que fait la pleine lune avec les nuages jouant avec les deux hommes qui imaginent autour d'eux la présence de loups-garous entre deux morceaux de conversations éthérées.

a créé une situation impossible pour ces deux hommes qui vont devoir prendre patience sur ce chemin où personne ne passe plus en attendant que des secours improbables leur soient apportés.

Proche et éloignés, invisibles l'un pour l'autre, les voilà dans des échanges que leur impossibilité de bouger l'un vers l'autre rend totalement surréalistes.

Entre Macario à la culture rendue universelle par sa consommation sans frein d'Internet qu'il restitue grâce à une impressionnante mémorisation et Ismaël qui ne rêve que de sa femme Genovera dont il est fou amoureux depuis le premier jour, les échanges volent sur la fidélité des femmes, la lycanthropie, la poésie et mille autres sujets destinés à leur faire prendre leur mal en patience.

Et, à coup de vérités assénées sans modération (« dans ce monde, il ne se passe rien qui n'ait une signification secrète », « les roses auraient le même parfum si elles s'appelaient citrouilles », « pour connaître un homme, il vaut mieux l'entendre que le voir », « tous les gens de droite, plus encore s'ils sont gros, quand ils rient, rient en o », … et tant d'autres encore) et ponctuées par les « croa, croa, croa » du corbeau qui semble approuver certains de ces échanges ou par les apparitions/disparitions de la lune dont la blancheur éclatante semble ajouter au malaise des deux blessés, un dialogue magique s'établit.

A la croisée de l'ironie, de la folie, de la fiction absurde ou encore du délire, de la peur du surnaturel, de la frayeur associée au noir inconnu, ce huis clos sous les étoiles fait défiler des pans de vie et des questionnements sans réponse qui sont peut être ceux qui nous attendent avant de fermer définitivement les yeux.

Commençons la semaine sur une note volontiers poétique avec un petit poème de Francis Jammes (1868-1938) : « La salle à manger », extrait du recueil De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898).

Au sein d’un recueil où s’exerce un art poétique de la simplicité qui devient ainsi un effet, on retrouve cette pièce de vers qui vient à nouveau poser cette interrogation restée célèbre : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » que l'on retrouve dans « Le Lac » de Larmartine. On peut dire, d’une certaine façon que « Le Buffet » de Rimbaud peut marquer une étape entre la manière romantique de traiter ce sujet et celle choisie par Francis Jammes.

Ecrits par un couple d'écrivains suédois, les thrillers qui mettent en scène l'inspecteur ont la particularité, le plus souvent, d'évoluer dans un univers psychiatrique clos, terriblement oppressant et anxiogène et de mettre en scène des criminels psychotiques aux comportements schizophréniques et paranoïaques très violents.

Ce nouvel opus (traduit par Lena Grumbach) n'échappe pas à la règle. A la fois agaçant et en même temps envoûtant et palpitant,  aussi irritant qu'irrésistible, il entraîne le lecteur au cœur d'une unité sécurisée de psychiatrie, l'y enferme avec habileté et de façon prévisible, usant d'un style parfaitement rôdé à créer de la tension et des rebondissements aux moments opportuns et de façon programmée.

Mais voilà, même si la construction du roman ressemble aux précédents, utilise les mêmes techniques manipulatoires et d'effets de surprise, joue sur les mêmes peurs avec le lecteur, l'excitation et l'exaltation que procure la lecture, demeurent intactes et  aussi savoureuses.

Le rythme est haletant, comme prédisposé aux attentes du lecteur, sans temps mort, conçu pour le dissuader de toute pause. Vous être prévenus, ce livre crée une dépendance, risque bien de blanchir quelques-unes de vos nuits, mais, quel divertissement !

Un jeune homme égaré est retrouvé en état de choc sur un pont ferroviaire à Stockholm. Disparu puis déclaré mort il y a plus de dix ans, il est en fait la dernière victime d'un tueur en série, Jurek Walter, retenu enfermé dans une unité ultra-sécurisée de psychiatrie médico-légale, une sorte de bunker souterrain d'où personne ne peut s'échapper.

La réapparition du jeune homme réactive l'enquête suivie à l'époque par l'inspecteur Joona Linna et contraint ce dernier à reprendre contact avec ce dangereux psychopathe, dont il a été lui-même une victime collatérale.

Par l'intermédiaire d'une agente très spéciale d'un groupe d'investigation top secret, Saga Bauer, Le tueur en série est approché pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à la victime soudainement réapparue et pour parvenir à découvrir ce que sont devenues les autres victimes, disparues pour la plupart. Un rôle particulièrement délicat à jouer car le criminel fou a la réputation d'être un brillant manipulateur, un monstre froid et sanguinaire.

Des chapitres courts qui s'achèvent en plein suspense, plusieurs enquêtes parallèles, un manque d'indices volontaire qui créent l'impatience et la tension, beaucoup de scènes d'enfermement, étouffantes et terriblement angoissantes, un personnel médical ambigu, une  connaissance des effets des psychotropes convaincante, des fausses pistes, la résurgence d'un passé lointain, des traumatismes de l'enfance chez plusieurs personnages, des courses-poursuites sous la neige incessante, assaillent l'esprit du lecteur par tous les côtés, ne lui laissent aucun répit, à la fois pressé et inquiet, fébrile et enthousiaste.

Content d'être finalement totalement absorbé par l'intrigue, dépossédé un moment de sa réalité quotidienne. Une évasion, certes mouvementée et éprouvante mais  surtout réjouissante, d'emblée distrayante.

Un plaisir immédiat, en temps réel. Et si vous n'attendez rien de plus, c'est excellent !