BEAUX ARTS - Il est des petits livres qui parfois aimeraient bien passer inaperçus, par souci de discrétion vraisemblablement, mais plus certainement d’atemporalité manifeste. De petits livres à la couverture fragile, un tant soit peu rugueuse mais éloquente par le choix éditorial et la fabrication ; et que l’on tient entre ses mains comme un objet précieux – dont on a peine à se détourner, comme une possible perte. C’est le cas notamment du dernier ouvrage de Jean-Marc Rochette admirablement intitulé Manifeste pour peindre le bleu du ciel, accompagné d’une préface élogieuse de Fabrice Gabriel, directeur de la Fondation pour l’Action Culturelle Internationale en Montagne, dont le siège se situe à Chambéry en Savoie, lui-même critique et écrivain de renom.
Le 08/09/2020 à 13:00 par Jean-Luc Favre
Publié le :
08/09/2020 à 13:00
Et ce n’est certainement pas un hasard si les deux personnages se sont rencontrés incidemment. Il l’écrit d’ailleurs en ces termes, afin de planter un décor qui se veut avant tout explicite et lumineux en amont : « Ce n’est pas dans les Alpes, mais à Berlin que j’ai rencontré Jean-Marc Rochette, à la fin de l’automne 2012, un automne particulièrement gris, froid et pluvieux, prélude à un hiver spécialement sinistre, remarquable dans toute l’Europe pour son manque quasi absolu de soleil. Je dirigeais depuis peu L’Institut Français de Berlin, qu’on appelle aussi la « Maison de France ». Un lieu prestigieux en effet, où la France rayonne depuis des lustres. « Ce qui me frappa surtout, c’était une série de tableaux à l’huile de grand format, paysages ou lacs de montagne, à la lisière de l’abstrait, risqués et très beaux qui me firent immédiatement penser à Jean Fautrier », un autre artiste célèbre dont le destin croisa les montagnes de Tignes et de la Val d’Isère, auquel Fabrice Gabriel a d’ailleurs consacré un court essai, L’homme ouvert, que je qualifierais volontiers d’atomisant.
Jean-Marc Rochette, lui n’est pas un inconnu du grand public. Originellement dessinateur, auteur de plus d’une quarantaine de BD, dont Edmond le cochon en 1979, et la célèbre série du Transperceneige en 1982, scénarisé et immortalisé par Jacques Lob.
« Je m’appelle Rochette, c’est un fait, et ce nom pèse fortement : je me suis senti lourd, un descendant de paysans ardéchois qui cherche par-dessus tout la légèreté. (...)Cela n’est pas sans rapport avec la pratique de la montagne, où on souffre, on sue, on marche, tout est lourd et pourtant, on finit par rejoindre la légèreté qui nous entoure, magiquement, de partout ». Bien évidemment la montagne ! Celle qui souvent élève le corps et l’esprit, mais qui parfois tue également certaines vaines et creuses espérances. Et Rochette en sait quelque chose, lui qui se destinait à devenir guide de haute montagne, profession à laquelle il renonça en 1976, suite à un grave accident, dû à une chute de pierre. A ce moment sa vie est interrompue, rompue.
Mais il faut bien se faire une raison, envisager un nouveau métier et logiquement un nouveau départ, en comblant les cicatrices du mieux possible sans ajouter à une souffrance déjà existante voire indélébile. « C’est pour cela que j’ai créé Edmond le cochon, un personnage de pur salopard : avant j’étais dans le rapport à la beauté, le romantisme de la nature, le rapport à la montagne ; après mon accident, j’invente le personnage le plus ignoble qui soit. Je suis brisé physiquement, symboliquement, absolument. J’étais un jeune homme tourmenté mais plein d’assurance, une sorte de « beau gosse » des années soixante-dix, et le soir même je deviens un édenté, une gueule cassée, presque un monstre ». Un métier alors qu’il choisira aux antipodes, du moins en apparence, il deviendra finalement dessinateur avec des premières collaborations dans Actuel et l’Echo des Savanes.
Mais heureusement la vie n’est pas toujours ingrate, même si… Il y a les racines, celles qui sauvent de la torpeur psychologique après un tel drame et qui permettent tant bien que mal de survivre. « Je suis né à Baden-Baden, en Allemagne. C’est un hasard. Mais le fait est que dans mon adolescence, j’ai été très attiré par l’art allemand, en particulier l’expressionnisme, qui me fascinait ». Or il en devient tout jeune, dès le lycée, un spécialiste en herbe, jusqu’à prodiguer un cours qui lui vaudra quelques jalousies. « Le goût pour l’expressionnisme allemand m’est resté tout au long de ma vie de dessinateur ».
Et c’est bien plus tard qu’il découvre l’art Français d’abord par l’Ecole de Barbizon et sa célèbre Auberge Ganne. Des peintres aussi comme Jean-François Millet et Theodore Rousseau et bien évidemment Corot, (16 juillet 1796, Paris – 22 Février 1875, Paris) qu’il considère comme un maitre absolu.
On le sait désormais Jean-Marc Rochette sait manier le pinceau. Mais à y regarder de plus près, en fouillant dans les interstices, on songe aussi au romantique allemand Caspar David Friedrich (5 septembre 1774 à Greifswald – 7 mai 1840 à Dresde) dont les teintes parfois ténébreuses coïncident symboliquement dans leur spatialité extensive avec l’univers tourmenté de Rochette comme, par exemple, la mer de glace, retour à la nature ou moine au bord de la mer. Ici la distinction ne se veut pas abusive, elle interprète au contraire une signalétique esthétique, une traçabilité existentielle dont les interrogations sont multiples et profondes à la fois. Certes on pourra toujours objecter que toutes les comparaisons sont possibles dans le domaine pictural, il suffit pour le coup d’avoir un peu d’imagination, mais chez Rochette, les inclinaisons (et déclinaisons), parce qu’elles sont toujours subtiles et précises, limitent la portée du commentaire critique.
En témoigne encore de l’exigence du peintre-dessinateur. Son imagination doit pouvoir formuler la réalité détournée en aspirant à un autre regard plus enclin à retranscrire les émotions perçues ou captées sur le vif, « J’ai cherché le bleu du ciel en montagne : un bleu-couvercle. Quelqu’un dans le monde de la bande dessinée m’a demandé un jour d’un air malin s’il n’y avait pas un problème avec la couleur de mes ciels : il n’avait rien compris ! C’est qu’il y a un rapport particulier entre les montagnes et le ciel, parfois elles sont légères, comme hydratées de lumière, et au-dessus d’elles pèse une espèce de chape de bleu. » Et plus loin « C’est ma quête, je l’ai dit déjà – trouver le bleu, le bleu juste, le bleu du ciel, le bleu parfait de la montagne ». Et le bleu dans ce cas n’incite-t-il pas non plus à la recherche du repos temporaire, comme s’il fallait toujours hydrater ses sens, autant que son cerveau, par une lumière flagrante et plus sereine.
« Merleau-Ponty dit que la peinture est le seul art qui puisse rendre compte de la chair du monde ». Et le philosophe, il est vrai, ne s’est guère trompé. Rochette confirme à son tour sur un ton presque nonchalant, mais qui n’est pas vraiment faux, « Il y a dans la peinture une forme de folie, peut-être de sauvagerie, en tout cas de violence nécessaire à la vérité ». Et cette vérité quelle est-elle au juste ? Et comment être en mesure de la nommer, sans se fourvoyer dans les méandres tortueux et sans fin, de l’histoire de l’art?
Le peintre, lui n’en a cure, son seul souci, est de rendre la beauté du monde, comme aussi bien la recréer.
Jean-Marc Rochette et Fabrice Gabriel - Manifeste pour peindre le bleu du ciel - Paulsen - 9782352213246 – 14 €
Paru le 11/06/2020
111 pages
Editions Michel Guérin
14,00 €
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