En résidence d’écriture partagée au Chalet Mauriac de la Région Nouvelle-Aquitaine au printemps, Laurence Vilaine a travaillé avec Marion Duclos sur un projet de film d’animation,
Un vendredi à Kitani. La romancière revient sur sa conception d’une démarche collaborative et la place que doit y prendre l’auteur.
Propos recueillis par Nicolas Rinaldi
Laurence Vilaine (au premier plan) et Marion Duclos — © Quitterie de Fommervault-Bernard
En quoi Un vendredi à Kitani relève-t-il d’une création participative ?
La matière qui a nourri le projet et que raconte le film est la rencontre que j’ai faite avec des femmes algériennes à Alger. J’y ai animé en 2014 un atelier d’écriture, dans une salle, en intérieur et, un jour, j’ai proposé aux femmes d’aller écrire à l’extérieur, sur la plage. Lire et écrire sur la plage n’est pas une pratique courante là-bas, d’autant qu’à Alger la plage accessible à pied se situe dans un quartier populaire. C’est d’une envie tout à fait naturelle de voir la mer et de mettre les pieds dans le sable qu’est née cette expérience.
Le projet s’est ensuite dessiné lors de la première résidence d’écriture au Chalet Mauriac, que j’ai partagée en 2014 avec Marion Duclos. Nous avons évoqué ce moment sur la plage d’Alger et nous y avons travaillé à l’occasion d’une seconde résidence, en juin de cette année. Nous venons d’univers différents : Marion de la bande dessinée et moi du roman. La force de ce film est de rassembler nos mondes pour fixer dans une œuvre cette expérience partagée à Alger.
De quelle manière votre travail avec ces femmes algériennes a-t-il nourri, sur ce projet, votre rapport à la création ?
Bien sûr mon souhait n’était pas de partir à la rencontre de ces femmes pour en faire un film d’animation. Mon rapport à la création ne consiste pas à aller chercher de quoi écrire un livre ou faire un film. C’est à partir d’expériences de vie, comme les échanges avec ces femmes algériennes, que naissent des envies, des projets de création.
Qu’apporte plus globalement un tel effort de transmission en amont de la création ? Vos projets peuvent-ils s’en départir ?
Si l’auteur adopte une méthode inverse en allant, par exemple, en Algérie en vue de faire un film d’animation, le projet est complètement autre. Pour moi, cette démarche s’apparente davantage à du journalisme. La mienne est de partir du sensible, de l’intérieur, pour apporter un éclairage. Cela peut paraître prétentieux, mais aller au-devant des gens est ma manière de vivre et donc de créer. Mon travail consiste d’abord à laisser vivre les choses et en voir émerger des idées.
Une fois, j’ai écrit un roman en partant d’une idée abstraite et j’ai mené une enquête vraiment très approfondie. Cette approche verticale du sujet s’est ressentie dans mon écriture qui ne sonnait pas juste et qui ressemblait plutôt à un travail documentaire. Ce texte dort d’ailleurs aujourd’hui dans un tiroir et sera peut-être repris pour nourrir un nouveau projet.
Dans ce rapport plus horizontal à la création, où se situe la place de l’auteur ? Comment vous engagez-vous dans cette démarche ?
Au moment des échanges, je ne pense pas à la création. Mais ce qu’il reste de ces moments de vie constitue la matière essentielle de l’écriture à venir. Pour moi, il est important d’être en veille, d’ouvrir grand ses oreilles. Et encore, je crois que je ne les ouvre pas comme un journaliste : je ne prends pas de notes de la même manière, je crois que je me situe en premier dans le partage et l’émotion.
Laurence Vilaine, Patrick Gérard (Photographe), Jack Altman (Traducteur) – A Nantes – Editions MeMo – 9782352890034 – 8,60 €