J'ai reçu le courrier d'un lecteur, et pas n'importe lequel: Laurent Jouannaud à qui j'ai consacré un article pour son très beau livre "Toxiques". Je vous reproduis son message in extenso. Cher Monsieur,En naviguant sur la toile, j’ai constaté que vous évoquiez mon nom et mes livres dans votre blog. J’ai été surpris : je me croyais littérairement mort et enterré. Je suis heureux et amusé d’apprendre que je ne suis qu’ « ensablé ». De fait, mon nom et mes textes apparaissent de temps en temps, ici ou là, et en tout cas sur Internet. Le bout de ma plume dépasse encore un peu. Mais vous avez raison, je m’ensable : mes livres ne sont d’ailleurs pas réédités. Ce processus d’ensablement est-il inéluctable ? Je ne sais pas, j’espère que non. Je puis vous assurer que je lutte contre. J’écris toujours, mais mes manuscrits n’ont plus trouvé preneur, sans doute parce que mes débuts, quoique prometteurs, n’ont pas été fracassants. Qui n’a pas fracassé les médias en deux ou trois livres est abandonné à son triste sort, c’est-à-dire un ensablement rapide. Je vous souhaite pour votre avenir littéraire un coup d’éclat ! Je travaille en ce moment à un roman difficile et original. J’espère qu’il verra le jour et me sauvera des sables mouvants.L’ensablement est évidemment le lot de toute création humaine et je me console en pensant que rien ne restera, un jour, de rien ni personne. Il n’empêche que certains hommes et œuvres restent longtemps visibles : leur tête, leurs épaules, leur corps dépassent largement la platitude de l’horizon. Ce sont les Monuments. Tout de même, si vous y regardez de près, l’ensablement commence : leurs pieds sont déjà recouverts du sable de l’incompréhension, de la manipulation et des poussières de l’érudition. Dans Toxiques, que vous citez très aimablement, j’ai parlé de mon admiration pour sept de ces monuments de la littérature française. Et j’en admire bien d’autres, évidemment.Je trouve votre entreprise de désensablage très honorable, quoique l’idée de rétablir la justice dans les lettres soit une illusion. Qui a perdu a perdu pour toujours, mais l’idée est bonne de dresser une stèle à ces courageux combattants restés dans l’ombre. Médaille posthume. J’ai bien compris que vous vous faisiez d’abord plaisir. Et que vous voulez partager ce plaisir avec quelques lecteurs curieux et soucieux de comprendre comment va la littérature. L’injustice y est chose courante puisque le succès ou l’échec ne sont pas directement liés à la valeur littéraire du texte imprimé, et ils le sont beaucoup moins encore aujourd’hui que par le passé. Ce qui implique que certains textes sont devenus Monuments sans le mériter ? Oui, même la postérité se trompe. Il y aurait donc des Monuments qui ne valent pas le détour. Faisons l’expérience, voulez-vous ? Continuez à découvrir des « ensablés » qui méritent leur stèle et moi je relirai quelques Monuments qui méritent peut-être la fermeture. Qu’en pensez-vous? Suite à cette lettre, j'ai pris contact avec lui. Son idée est de revisiter les grandes œuvres littéraires, pyramides dressées au milieu des sables où dorment, enfouis, les ensablés, afin de répondre à cette question: certaines œuvres dites majeures ne méritent-elles pas d'être oubliées? Laurent Jouannaud m'a proposé l'envoi de lettres régulières sur les "grands" livres, qu'il intitulera et j'ai bien sûr accepté. La fréquence n'est pas déterminée. Cela sera selon. Mais je sais que sa première critique portera sur "La nausée" de Sartre. Je le remercie d'avoir accepté de loger ses articles sur mon blog. Je ne doute pas, chers lecteurs, que ces "revisitations" vous intéresseront et susciteront vos réactions.