Ces dernières semaines, la presse se fait l'écho des drames à répétition dont les frontières de notre vieux continent sont le théâtre. Vus d'ici, les cadavres sont ceux de clandestins, de sans-papiers, dont l'embarcation surchargée fait naufrage en Méditerranée. Les dépouilles sans identité viennent grossir des chiffres déjà alarmants, les rescapés rejoignent le contingent des migrants à rapatrier, dont le nombre ne cesse de croître. Des statistiques, rien de plus.
Pourtant, derrière chacun de ces naufragés, il y a un projet de vie : des espoirs, des rêves, des risques et, surtout, une détermination plus forte que tous les obstacles. Plus forte que les frontières, plus forte que la cupidité des passeurs, plus forte que la faim et la soif, plus forte que la mer déchaînée.
Mohamed est un de ces candidats au voyage entre le Maroc et l'Europe. Artiste dans l'âme, il ne trouve pas sa place dans son village du Sud, où les conditions de vie sont rudes. À force d'entendre raconter que dans toutes les autres familles, les fils partis en Europe envoient de l'argent régulièrement, il finit par voler les économies de son père et filer avec un copain, au milieu de la nuit, en direction du continent où tous les miracles semblent possibles. Son rêve : s'inscrire dans une école d'art et apprendre en Europe à vivre de son art.
L'album va raconter l'itinéraire de ce candidat malheureux à l'immigration : les journées d'attente, les nuits dans les abris de fortune, la peur permanente, l'emprisonnement à répétition et les complications qui s'enchaînent à l'infini. Mohamed a un caractère hors du commun et c'est ce qui lui permettra de tenir bon à travers les déboires.
Une rencontre à Tétouan
Formé à la bande dessinée à Tournai, en Belgique, Cédric Liano, qui a dessiné l'album, est parti enseigner un an à Tétouan. C'est là qu'il a fait la connaissance de Mohamed Aredjal, étudiant en arts plastiques, qui lui a raconté son incroyable parcours. Très vite, Liano s'est mis en tête de transformer ce récit en roman graphique. C'était une riche idée.
Sept ans plus tard, l'album est publié chez Steinkis. Il se lit comme un témoignage sincère, qui met en lumière aussi bien la naïveté d'un jeune candidat au voyage sans retour que la violence avec laquelle les autorités européennes défendent leur territoire. Le récit tire sas force, bien évidemment, de sa véracité et de sa sincérité. Le dessin n'est pas toujours à la hauteur de l'émotion qui étreint le lecteur. C'est sans doute quand il se fait plus abstrait, moins réaliste, quand il réduit les personnages à des silhouettes perdues dans la grisaille, qu'il se montre le plus efficace.
Après la fuite, l'école
Le plus intéressant, peut-être, c'est la fin du parcours, quand Mohamed choisit de rester au pays, pour entrer dans une école d'art dans le nord du pays.
Le récit s'arrête à ce tournant, mais les quelques pages de documents qui complètent le livre nous permettent de comprendre que Mohamed Ardejal ne s'est pas trompé en faisant son choix. Son travail de plasticien s'est poursuivi et son périple également : c'est de ses voyages sur le continent africain qu'il tire désormais la matière première des œuvres qu'il réalise.
Il fait de l'errance la matière de sa création. Mieux encore, sept ans après avoir raté son voyage clandestin vers l'Europe, il a été invité en tant que jeune plasticien Marocain à la biennale de Bari, en Italie. Il a fait le voyage en avion, cette fois. Peut-être reviendra-t-il encore, dans l'un ou l'autre festival, pour dédicacer cet album ?