Si avec , son précédent roman, prenait le temps de mettre en place une atmosphère, des personnages, un lieu très particulier (l'extrême nord de l'Europe) et des conditions climatiques spécifiques, parfois un peu au détriment du rythme et de l'intrigue elle-même, cette fois, avec ce deuxième opus mettant en scène, de nouveau, la police des rennes, il confirme pleinement et avec succès son talent de conteur et son engagement auprès d'un territoire en danger.
Il livre ici un brillant roman policier, tendance ethnographique, sans temps mort, haletant et passionnant, (extrêmement bien documenté une fois de plus), capable d'immerger le lecteur dans une ambiance dépaysante, de faire naître l'envie du voyage dans ces contrées arctiques pourtant assez hostiles, de provoquer impérativement ensuite le besoin de se renseigner sur l'industrie pétrolière et les menaces qui pèsent à la fois sur la sécurité de ces travailleurs de l'extrême et sur l'environnement, lorsqu'il s'agit de répondre au rythme effréné d'exploitation intense. Le besoin d'en savoir plus sur les conditions de plongée sous-marine en mer de Barents prolonge également la lecture et attise la curiosité. Ou comment, avec habileté et intelligence, grâce à la littérature, le lecteur devient intensément concerné, avide de connaissances.
Plus qu'un roman d'aventures policières, ce livre, en effet, de manière très convaincante, milite aussi pour la protection de l'environnement, la dignité des salariés et le respect des minorités ; dénonce les effets ravageurs et pervers de la mondialisation, alerte sur un territoire longtemps préservé mais condamné (inexorablement ?) à disparaître à force d'être surexploité. "La mer de Barents est devenue la zone économique prioritaire pour le gouvernement norvégien".
Le constat final est assez sombre et glaçant, suffisamment inquiétant pour réveiller les convictions écologistes et altruistes du lecteur. Greenpeace n'aurait pas fait mieux !
Si la nuit accompagnait Klemet et sa collègue Nina dans le premier roman, ici c'est le soleil et la lumière quasi-permanents qui menacent l'intégrité des personnages, perturbent leur équilibre et leur sommeil. "En cette saison, le corps ne sentait souvent que trop tard le besoin de s'arrêter, et la fatigue s'accumulait."
Appelés pour un accident tragique d'un éleveur alors que son troupeau franchissait le détroit du loup pour gagner de nouveaux pâturages, les deux policiers se rendent compte bien vite que cette mort est d'autant plus suspecte qu'elle est suivie, quelques jours après, par d'autres morts tout aussi étranges et douteuses, celle du maire d'Hammerfest d'abord Lars Fjordsen, puis de deux responsables pétrolier, le texan Bill Steel et Henning Birg et de trois anciens plongeurs, un peu plus tard.
Entre un peuple Sami opposé au déplacement d'un rocher sacré pour agrandir une route capable à terme de répondre aux futures extractions pétrolifères et gazières de la région, (toujours plus nombreuses mais réduisant, de surcroît, les terres d'élevage pour les rennes et condamnant ainsi à terme le mode de vie nomade des habitants d'origine), et un pays avide de richesse et de croissance, (prêt à exploiter sans limites les ressources naturelles ; peu concerné par la préservation des traditions culturelles autochtones qu'il juge archaïques), il n'est pas facile, pour la police des rennes, à la fois garante de la sécurité des éleveurs Sames mais issue de l'Etat norvégien, d'apaiser les tensions et les incompréhensions entre ces deux communautés, ni de résoudre les dissensions qui les opposent. "Ca fait des années qu'on est sous pression, nous les éleveurs du district, à cause des développements d'Hammerfest. Ils grignotent de plus en plus nos terres pour faire de nouveaux parcs industriels […] Et il se passe des choses pas sympas. Il y a beaucoup d'argent en jeu. Et nous, on pèse pas lourd".
Un contexte humain difficile auquel vient s'ajouter la corporation spécifique des plongeurs, pas toujours bien perçue par les habitants, souvent jalousée, pourtant obligée de risquer sa vie en permanence pour satisfaire des délais de rendement toujours plus courts. "Elles [les autorités norvégiennes] avaient choisi le pétrole avant la santé des plongeurs".
Ainsi un entrelacs de situations complexes, très denses, d'oppositions humaines animées, de désirs de vengeance, où chaque partie défend ses valeurs sans possibilité d'entente ou d'intégration réussie.
Des personnages secondaires d'envergure (Nils Sormi, le plongeur, Anneli, la jeune éleveuse, voire même Markko Tikkanen, l'agent immobilier et homme d'affaires influent et douteux ou Juva Sikku, le berger qui rêve d'élever ses rennes dans une ferme), très attachants dans leur entêtement, leur acharnement, leur fragilité aussi, ni complètement noirs ni complètement blancs, très réalistes en tout cas, qui prennent vie dans une nature insolite et sous une lumière éprouvante dont le lecteur ne peut décidemment pas se détacher, comme hypnotisé.
Ainsi mis en éveil sans relâche, il s'intègre rapidement au duo d'enquêteurs qu'il apprend à connaître, le suit sans hésiter, de manière fluide et agréable, à la fois conquis et fasciné et s'impatiente déjà de « vivre » la prochaine enquête de cette police des rennes désormais familière !