Bon, il est d'assez mauvais goût, par les temps qui courent, de demander à d'illustres quidams, tout à fait anonymes et banals, de prendre des risques inconsidérés au beau milieu d'une île déserte. Les récents événements ont d'ailleurs indiqué aux producteurs de l'émission, quel que soit le pays de diffusion, que les conséquences pouvaient être fâcheuses. Après tout, gardons à l'esprit que personne ne les a non plus forcés à faire les guignols pour le compte d'une chaîne de télé. Devant un bon bouquin, on palpite autant, plus confortablement installé.
Oui, mais voilà : , l'un des groupes financiers les plus puissants au monde n'a vraiment cure de ce type de considérations. À défaut d'être une marchandise exploitable, l'humain est avant tout un objet de divertissement aux innombrables qualités, pour peu qu'on le stimule. Et en réunissant l'élite de l'élite dans des domaines les plus variés possibles - à l'exception peut-être d'un sportif de très haut niveau - on obtient de quoi passer un meilleur moment encore.
Zlatan Macziewski, représentant du fonds d'investissement Leviathan accueille ainsi dans une soirée des plus étranges tout une troupe de gens, plus ou moins jeunes, avec une proposition des plus intrigantes : devenir, en groupe, ou individuellement, les Hercule modernes, en accomplissant les douze travaux décidés par Leviathan.
À la recherche de la sérénade absolue, d'un jazzman reclus, nos aventuriers prennent part à un jeu qui va les dépasser, et de loin. Un jeu mortel, au besoin...
Car évidemment, ça va finir mal, évidemment, y'aura des morts, et plus évidemment encore, tout le monde est intrigué. Car les participants sont moins préoccupés par les 35 % du capital de Leviathan qui sont à la clef, que par le pourquoi même de l'organisation d'un dodécathlon... Évidemment, les profils sont particulièrement atypiques, un scientifique qui a refusé deux fois un Nobel de physique, une journaliste internationale, un spécialiste du comportement, une riche héritière et... un type avec un don.
Et évidemment, si l'on réunit le fleuron de l'humanité dans les domaines les plus divers, qu'on lui donne le nom de Cutting Edge (la pointe !), alors on tombe sur une aventure mêlant du bon XIII, avec quelque chose de Largo Winch et une note de féminité rendant le tout un peu moins politique, pour l'instant, et plus subtile, globalement. Le club des cinq (!!) avec une vingtaine d'années de plus.
Scénaristiquement parlant, l'ensemble tient bien la route, avec une mystérieuse femme, recevant des messages plus mystérieux encore - mais dont le lien avec cette histoire de Dodécathlon ne fait pas un pli. La montée en puissance de la tension est bonne, et l'on éprouve le lot nécessaire de petites tragédies, sans verser encore trop dans le background des personnages. En somme, la série démarre correctement, sans en demander trop au lecteur.
Lequel ne passera pas à côté d'une certaine impression de brouillon, probablement parce que l'on en dit beaucoup en peu de pages, finalement.
Pour le dessin, ce reste dans la lignée des séries évoquées plus haut, avec des personnages réalistes, et des décors bien fichus. Pas de problème de ce point de vue. On a même, dans la mise en page quelques cases originales, un découpage qui ne verse pas en permanence dans le clacissisme. Bref, Cutting Edge est un premier opus réussi pour qui se sentait en manque de série à démarrer.
Une réserve mineure : on aurait probablement pu resserrer un peu plus l'ensemble, pour se pencher plus sur des démonstrations de force de ces jeunes talents. En revanche, au fil des pages, les dessins sont assez inégaux, avec des ratés dans les expressions, les visages ou les mouvements, qui auraient mérité d'être retravaillés pour donner un plus grand équilibre.