Oh, on les voit arriver les reproches et les mauvaises langues : « Quoi, la mégère apprivoisée ? C'est super classique ! C'est quoi ce sexisme ? Une pièce pour mec complexé ! Et à la Comédie française ! On est super mal assis... » Bon, pour ce qui est du confort des sièges, chacun place sa sensibilité où il souhaite, voire s'assoit dessus, pour ma part, tout va bien. Ensuite, La Mégère apprivoisée, j'avais eu l'occasion de la découvrir sur Bordeaux, dans une version justement très classique, et franchement... Non, on peut le tourner dans tous les sens, quelque chose a révolutionné la Comédie française en général et cette pièce en particulier.
Épaulé par une mise en scène complètement folle et succulente, le texte de Shakespeare en dégage une saveur infinie. Sur scène 17 comédiennes et comédiens se partagent effectivement une version « physique et spectaculaire » qui frappe tant dans ses audaces que ses rares concessions. Un grand bravo donc à Oskaras Korsunovic, le metteur en scène.
Le topo de la mégère, tout le monde le connaît : un père souhaite marier ses deux filles, Catharina et Bianca, mais la cadette est bien plus courtisée que l'aînée pour la simple raison que cette dernière est imbuvable. Les galants qui s'affairent autour de la seconde trouvent alors un heureux élu (ici Loïc Corbery, beau comme un dieu grec dans la pièce, mesdames...) qui se chargera de mater la résistance de Catharina.
Sujet simple, mais peu importe, c'est le traitement qui compte. Ici, on plonge tant dans le baroque que dans la farce, les acteurs se dépensent sans compter, alternent selon les personnages un langage châtié avec des interventions complètement décalées, parce que très contemporaines. On ne cherche d'ailleurs pas à actualiser la pièce à tout prix, cela se fait très naturellement, et si l'on se retrouve quelque fois étonné du résultat, c'est toujours avec humour et une certaine légèreté.
Le décor, pour lui rendre hommage, je ne le décrirai pas. On en dira juste qu'il est parfaitement utilisé et maîtrisé par les comédiens, qui y naviguent avec aise, en jouent avec facilité. Toute la pièce est accompagnée d'interventions musicales qui la rendent plus joyeuse et dynamique encore, jouant sur les déplacements ou les gestes, illustrant ou ponctuant : un véritable plaisir ! Quant aux costumes, ils jouent également entre modernité et classicisme, et on saluera le travail réalisé par Virginie Merlin.
Enfin, concluons par ce jeu de panneau-miroir, qui d'un côté présente un costume et de l'autre sert de miroir : finalement on peut en changer facilement, mais reste-t-on le même si l'on change de costume ? Parfaitement intégrés au jeu, ces panneaux deviennent comme des complices des comédiens qui martèlent et rythment leurs déplacements en les claquant bien fort par terre.
Alors oui, c'est effectivement un spectacle plutôt long et à l'entracte, j'en ai pris certains la main devant la bouche, et de récidiver lorsque le rideau tomba. Un comble... Pourtant, rien ne prête à bâiller dans cette pièce revisitée de fond en comble et accommodée avec une vitalité incroyable. Tout semble couler de source et on reste médusé, tout comme Christophe Sly, l'ivrogne qui sert de spectateur, face à ce que l'on découvre.
À découvrir d'urgence avant que cette féerie ne s'arrête dans la salle Richelieu.
Prix des places de 5 € à 37 €
Renseignements et location : aux guichets du théâtre, tous les jours de 11h à 18h.
Par téléphone au 0825 10 16 80 (0,15 € la minute), tous les jours de 11h à 18h
Crédits photos © Brigitte Enguérand