Le monde de Tintin

Parfois, je range ma bibliothèque... et j'y retrouve un en première édition ! Mais non, je plaisante : je retrouve en vérité un des multiples albums achetés par mes parents à l'intention de mes frères. En raison de leur date de parution - le mitan des années 50 - certains de ces albums ne sont pas loin d'être effectivement en première édition. 

La Chronique BD de BDfugue.com

Quant à leur état... Les tâches et auréoles me permettent de retrouver le type de confiture et la marque du petit-déjeuner cacaoté qu'ils ingurgitaient ! Le collectionneur d'aujourd'hui maudit ainsi le gamin d'hier traitant ses albums sans ménagement... Vieille rengaine ! Collectionneur, je ne le suis pas, mais l'occasion m'est donnée ainsi de comparer la qualité de restitution des planches d'Hergé, suivant l'époque de parution des albums. Et de constater que de ce point de vue, on touche le fond en 2012 !

Sous prétexte de pérenniser la maquette initiale choisie par Georges Rémi lui-même, de respecter la parole sacrée du maître, c'est la banalité qui règne… ou le vieillot, sans le charme de l'ancien. Le pire étant les couleurs, poussées jusqu'à l'agressivité, exacerbée par un papier glacé qui fait mal aux yeux... 

L'Intégrale Tif et Tondu, sur BDfugue

Bon, avant que Casterman engage des tueurs pour me punir de toutes ces méchancetés, je félicite cette vénérable maison pour les fac-similés proposés depuis quelques années : on y frôle la perfection ! Dos rond façon toilé, papier aux nuances d'ivoire et délicieusement granuleux au toucher, douceur et matité des couleurs... C'est le nirvana !!! A un prix qui fait tousser. Mais bon, Tintin est un cas à part. On n'a pas l'équivalent pour des personnages de notoriété comparable : Spirou et Fantasio le mériteraient assurément, pour retrouver le dos rond qui réjouit le fétichiste moyen, à l'encontre du banal dos carré. Et le quatrième plat illustré par le maître Franquin ?!? 

On n'en finit pas d'être émerveillé par sa puissance de travail : la collection "Version Originale" (Marsu Productions) propose une intégrale chronologique des Gaston reproduisant les planches originales en y juxtaposant les hauts de page du Journal de Spirou.Hors de prix, mais totalement renversant ! 

Tintin, L'Île noire, sur BDfugue

Un qui souffre peut-être d'une image trop populaire pour exciter les collectionneurs de base, c'est bien Lucky Luke.Un beau souvenir d'enfance, pourtant : après quelques pleins d'essence - merci Papa - un sympathique groupe pétrolier dont le logo représente un tigre débonnaire, m'offre en collaboration avec les éditions Dupuis quelques exemplaires des aventures du cow-boy fumeur (à l'époque), un de ces albums brochés plutôt fragiles et mal collés, pas vraiment faits pour durer dans le temps... 

Dieu merci - s'il existe - nombre des séries ainsi publiées à l'origine se retrouvent aujourd'hui dans des intégrales à petit prix, sobrement présentées et dans une restitution de bonne qualité. Et surtout lestées de suppléments passionnants, sous forme de dessins inédits, reproductions des pages du Journal de Spirou, textes éclairants sur les méthodes d'élaboration de ces merveilles. 

Lucky Luke, l'intégrale, sur BDfugue

Et quand en plus, cela concerne une collection longtemps indisponible comme Tif et Tondu, je grimpe aux rideaux !!! Un couple de héros bénéficiant d'excellents dessinateurs et de remarquables scénaristes, traversant les années en évoluant subtilement depuis le divertissement inoffensif, pour en arriver à un ton plutôt adulte. Avec une prédilection pour le merveilleux et le fantastique : tout ce que j'aime !

En ce 3 mars 2023, 40 ans jour pour jour après la disparition d'Hergé, Renaud Nattiez se pose LA question : Peut-on encore, en toute bonne conscience, inciter ses enfants à lire les aventures de Tintin ?

En somme : Faut-il brûler Tintin ? 

Depuis sa naissance dans une autre époque, en 1929, Tintin est aujourd'hui qualifié de réactionnaire, raciste, colonialiste, misogyne, anticommuniste primaire et sûrement d'autres abominations. 

L'auteur, administrateur de l'association « Les Amis de Hergé », revient sur la tintinophobie de ce XXIe siècle et se demande si une bonne part de l'intérêt de ce mythe du 9e art ne provient pas, justement, de son caractère non consensuel.

Au cœur de l'histoire littéraire de l'imaginaire, des figures emblématiques se détachent : Mary Shelley, Ursula K. Le Guin, Joanna Russ, Margaret Atwood, Octavia E. Butler, la non-binaire Rivers Solomon... Au XVIIe siècle, donc bien avant, Margaret Cavendish, pionnière dans le domaine de la science-fiction. Son texte, The Blazing World (Le Monde Glorieux), est considéré comme le premier roman du genre écrit par une femme. Elle est aussi une des premières femmes à publier ouvertement sous son nom.

Un texte publié en France par les éditions José Corti en 1999, qui rééditent l'ouvrage avec une postface inédite de la savante Frédérique Aït-Touati.

Line Cottegnies, traductrice du texte, a découvert le texte à l'occasion de sa thèse en Angleterre. L'autrice est un cas fascinant de femme sans éducation à la hauteur de ses co-religionnaire masculin, qui malgré tout casse le carreau de la vieille science occidentale : astronomie, mathématiques, politique, s'appuyant finalement sur sa perspective pour proposer une oeuvre d'une singularité peu commune.

Celle qui fut perçue comme une figure excentrique et presque folle à son époque, a travaillé méticuleusement à assurer sa postérité en envoyant ses œuvres aux institutions académiques majeures, comme Oxford, Cambridge ou Leiden. Pas si zinzin... Malgré tout, sa tenue et son apparence, souvent non conventionnelles, la distinguaient, mélange d'éléments masculins et féminins. Une curiosité publique. Ses écrits ont été accueillis avec scepticisme par ses contemporains masculins.

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Dans Le Monde Glorieux, une femme est transportée au pôle Nord où elle découvre un royaume extraordinaire, scintillant de pierres précieuses, et où elle est couronnée impératrice. Elle engage des débats philosophiques avec les résidents de ce monde, qui incluent des êtres humains, mais aussi des animaux et des insectes dotés de parole. Dans la seconde partie du roman, l'autrice elle-même, sous les traits de la duchesse de Newcastle, intervient dans le récit pour devenir la narratrice et confidente de son personnage principal.

Dans ce texte entre « proto-science fiction » et philosophie - certains diront que science fiction sans philosophie n'est que ruine de la DeLorean -, elle combine des éléments de science-fiction et de philosophie, explorant des thèmes tels que la nature animée et la critique de la guerre, en utilisant l'imaginaire pour contester les structures de pouvoir traditionnelles et promouvoir la paix. Celle qui fut traumatisée par les horreurs de la guerre civile, a envisagé une forme d'autocratie, à découvrir en se procurant l'ouvrage, comme seul moyen d'instaurer la paix.

Elle s'emploie à créer divers mondes selon les théories de penseurs renommés : Thalès, Pythagore, Platon, Épicure... Mais rencontre des difficultés à chaque tentative. Elle joue avec les idées pour illustrer leur relative applicabilité et finalement les rejeter en faveur de son propre monde imaginé. On l'a comprendra aisément.

(Delcourt) est bien sympathique. Il est issu d'un blog (un tumblr pour être techno-spécifique) où la Californienne Liz Climo met en scène des animaux divers et variés, et d'autres créatures telles que momies ou machines à laver, affligées de divers tracas. 

chronique BD avec BDfugue

Façon de s'abstraire de son boulot de tous les jours, qui n'est pas banal pour autant : un travail dont vous voyez l'aboutissement dans la série animée "Les Simpson", où elle est en charge des story-boards depuis une dizaine d'années ! Son album, découpé par saisons, présente sur chaque page un simple dessin, ou des strips plus ou moins développés. 

Le ton est humoristique, mais plus varié qu'on peut le penser si l'on s'arrête à la couverture ou que l'on se contente de feuilleter quelques pages. Le trait de Liz Climo est plein de fraîcheur et d'expressivité, ses couleurs douces et délicates, toutes ces qualités mises au service d'un univers trop trop mignon !!! Mais pas mièvre, bien au contraire... 

Sous son aspect de livre pour enfants, Le petit monde de Liz offre plusieurs niveaux de lecture. Assurément, certains gags à caractère familial sont charmants. Juste charmants. Les jeux du papa dinosaure et de son fils, qui reviennent à intervalles réguliers, ne peuvent que rappeler des situations vécues par tout père de famille. C'est naïf et gentil tout plein, ce qui n'est déjà pas si mal. Mais beaucoup d'autres strips sont futés et visuellement percutants, ce qui est remarquable au regard de la simplicité du graphisme. Et certains sont même carrément loufoques !!! 

On y voit des animaux qui, tels des humains moyens, parlent, mangent ou boivent. Ils draguent leurs congénères, organisent des soirées déguisées, élèvent leurs enfants et jouent au bord de la mer ou ailleurs. Tout ça un peu laborieusement, et en ratant souvent leur but. Il y a des jeux de mots un peu foireux et beaucoup de dialogues complètement décalés, parce que sortant de la bouche - pardon, de la gueule ou du bec ! -  d'animaux de toutes espèces. 

Le petit monde de Liz

sur BDfugue.com

En quelque sorte, on s'aventure dans l'envers du décor des livres pour enfants, une sorte d'univers fictif où les comédiens à poils et à plumes interprétant ces histoires destinées à un jeune public ont une vie privée fort proche de la nôtre. J'ose une hypothèse : Liz Climo connaît et aime Gary Larson, et lui rend hommage dans son livre. 

Ah, Gary Larson !!! Il y a une vingtaine d'années, ses albums et ceux de Glen Baxter sont enfin commodément disponibles en France, et traduits aussi bien que possible : je découvre alors les oeuvres de ces maîtres du "nonsense" avec délectation. L'anglais Baxter est un de ces excentriques que le Royaume-Uni semble fabriquer à la chaîne, lorgnant vers Magritte ou Érik Satie en ornant ses petits tableaux faussement banals de sous-titres absurdissimes. 

Mais j'avoue ma préférence pour l'américain Larson, plus grinçant et dont le dessin me fait mourir de rire. Que ses fans me le permettent : Liz Climo se hisse à sa hauteur plus d'une fois !

Certes, avec plus de tendresse et moins de noirceur, mais qu'ils fassent le test d'ouvrir Le petit monde de Liz à certaines pages, une bonne surprise les y attend !!!

On peut aussi retrouver le Tumblr de Liz Climo

L'humour, décliné sous toutes ses formes, chez BDfugue

Le mythique Journal Tintin, jadis célébré sous le célèbre slogan "le journal des jeunes de 7 à 77 ans", célèbre son... 77e anniversaire avec une édition spéciale, une perle pour les collectionneurs. 

Issu de l'imagination fertile de Hergé, l'illustre créateur du reporter à la houpette, cette édition collector renaît de ses cendres, émergeant d'une pause de 35 ans, dans un tirage de 60.000 exemplaires. Un trésor de récits courts, portant la signature de 80 auteurs, qui rendent hommage aux héros emblématiques de la BD, insufflant une nouvelle vie à leurs aventures. 

Toutefois, le sanctuaire de Tintin demeure inviolé : aucune nouvelle quête du reporter intrépide ne vient orner ses pages, en respect à la volonté inébranlable des ayants droit d'Hergé. En contrepartie, ce numéro déborde d'illustrations, d'esquisses et de planches signées par Hergé. 

Ce numéro, plus qu'une simple édition, est un écho vibrant au formidable succès que le magazine a connu, avant que le crépuscule ne le recouvre en 1988.

On vous emmène en voyage en restant confortablement installé.e avec un bon livre sur les genoux.
Lire Egill Bjarnason et son Histoire de l’Islande, publiée par Autrement, c’est exactement ça : un peu d’histoire au coin du feu qui nous permet de nous évader.

Peut-être que le fait d’avoir emmené des touristes en mer avec le capitaine Hörour Sigurdjarnarson pour voir les baleines lui a appris à conter les histoires, mais qu’il nous parle des Vikings, des Révolutionnaires, des cosmonautes ou de la création d’Israël, on le lit voire on l’écoute et on est bien !

On apprend et on désapprend, l’Islande s’ouvre à nous et peu importe si dehors il fait froid ou s’il tombe des hallebardes qui font des « takk, takk, takk, takk, takk, takk… ».

Egill Bjarnasson nous raconte une histoire, nous raconte l’histoire de l’Islande, du monde et « Waouh », on en redemande !

Si vous êtes un peu cultivés, comme nous le sommes aux Histoires sans Fin, vous avez une vague idée de ce qu'est la prison de Guantanamo, un goulag ou le génocide rwandais. Bon, ça y est, vous revoyez le truc ? Eh bien, préparez-vous car vous allez pénétrer de plein pied au coeur de toutes les horreurs réunies. Oui, soyez les bienvenus dans le Demi-Monde, un univers virtuel imaginé pour préparer les G.I. à vivre l'enfer et surtout, à y survivre.

En effet, ce décorum, ô combien réaliste, compte trente millions de personnages numériques complexes dans leur violence et malignité propres, gouvernés par les avatars des plus célèbres monstres de l'Histoire, tout ça figé en 1870, interdisant ainsi toute technologie aidante. Misogynie, racisme, eugénisme ne sont ici que les idéaux les plus doux. Un seul ordinateur, ABBA (rien à voir avec le groupe suédois), gère en génie omnipotent cette société labile. Or, lorsque Norma, la progéniture du président des USA, y reste coincée, tout risque de changer. L'on se demande alors quelle réalité va supplanter l'autre...

Avec dessine un scénario que nous pourrions qualifier “d'extrêmement bien fichu”, tant il nous séduit et nous enthousiasme. Voilà un architecte de la pensée très très compétent, qui fait basculer le rationnel vers l'inconcevable et transforme le fictif en tangible. Les portraits sont riches, l'univers, compliqué, dense et passionnant.

Même si les premières pages restent laborieuses, prenez le temps de vous faire à l'étrangeté de l'ambiance, assimilez les plans, les cartes, le contexte. Luttez. C'est vraiment, vraiment pour la bonne cause...

Je ne surprendrai personne en expliquant que mon enfance fut plus souvent bercée par le ballon con (celui qui rebondit en se foutant de ta gue*le), plus que par celui rond dans lequel on met de grands coups de tatanes. L’inclinaison personnelle me conduisit à me prendre pour Michaël Jordan par la suite, convaincu que # IBelieveICanFly…

Donc, celui à qui je dois ce dictionnaire amoureux peut raisonnablement considérer que je l’aime au point de dépasser l’aversion que j’éprouve pour les pousse-citrouilles.

Et cette même affection, mue par la curiosité tout de même de comprendre, fait ouvrir le livre – dont on regrettera juste que la préface signée Michel Platini ne soit pas explicitement signalée dès la couverture : je suis convaincu qu’il y a des aficionados pour qui cela compte.

Parce qu’en réalité, quand on est amoureux, on ne demande pas aux autres de comprendre les motifs de cet élan : on les expose. Et qu’il n’existe pas d’amour, mais des preuves d’amour. Et qu’à ce titre, le boulot abattu par Vincent Duluc va au-delà de la preuve : ce journaliste sportif (et romancier) a pour le ballon rond un respect mêlé de passion. La combinaison est terrifiante : loin d’être changé en missionnaire, il se meut en pédagogue, multipliant anecdote et histoire.

Et un peu à la manière de cette part de gâteau que l’on prend malgré le banquet qui a précédé, on tourne les pages, intrigué, amusé, parfois (pour le profane que je suis) avec un vague souvenir de quelque chose…

Le football, sport le plus simple à pratiquer (les poteaux de but en blouson…) est aussi celui qui mobilise la planète entière. Et plus encore quand il s’agit d’un événement aussi mobilisateur (encore que celui qui approche, au Qatar, me sorte définitivement par les yeux…).

Avec ses travers financiers, ses joueurs qui refusent le char à voile pour se déplacer et bien d’autres. Mais entre deux pages, même le réfractaire que je suis se dit : « C’est aussi de la culture. Et c’est très loin d’être à rejeter en bloc, imbécile. »

Jul', Solam et le petit Malo doivent vivre pendant quatre mois dans la ferme d'une éducatrice, Marlène. Cette dernière leur demandera d'écrire chaque jour une page pour raconter leur expérience; mais surtout pour réussir à dire l'indicible de la souffrance qui les a menés jusqu'à elle. Tous les trois ont le cœur meurtri par le manque d'un je-ne-sais-quoi que ce récit à trois voix nous révèlera. Jul a le cœur et le corps dévastés par un amour violent. Solam, adolescent emporté et excessif, s'efforce de devenir un homme aux yeux des femmes. Enfin Malo, plus jeune et plus tendre, vit dans les souvenirs de Cynthia qui s'est toujours occupée de lui.

Le roman de est un touchant roman polyphonique. Ainsi plusieurs voix s'entrecroisent et s'entrechoquent pour évoquer un quotidien salvateur. Le principe de leur séjour dans cette ferme est sans aucun doute de les rendre maître de leur temps et de leur destin à travers l'exercice quotidien de l'écriture. De même qu'en choisissant de leur faire construire ou réparer des choses matérielles…

Au cours de ces pages d'écriture aux allures de lettres intimes adressées à soi-même, quelque chose, imperceptiblement, se produit. Les trois personnages évoluent en apprenant à dire, à écrire, à apaiser leurs cœurs blessés. L'écriture est libératrice. Tout près le bout du monde apprend à l'adolescent que la parole est bien le plus sûr chemin pour guérir, sous peine de mourir de n'avoir pu dire…