Plus belle la vie, clamait le philosophe, avant qu’on ne lui explique que le gène qui le faisait réfléchir et questionner le monde environnant appartenait à un groupe de recherche universitaire. Désormais, pour avoir le droit de penser, il lui fallait un accord express dudit groupe de recherche en génie génétique, sous peine de violer un copyright, le brevet associé et d’encourir un procès… C’est pas merveilleux ?
Les États-Unis, de nos jours, ou presque, disons dans un monde qui deviendra le nôtre si l’on n’y prend pas garde. Y peut-on simplement lutter contre, c’est une autre paire de manches.
Alex Burnett est avocate, par exemple et la voilà en train de débattre avec la 48e chambre du tribunal d’instance de Los Angeles : un endroit incongru pour débattre de biotechnologie ? Barry Sindler est également avocat, spécialisé dans les divorces de stars. Cela ne l’empêchera pas de demander un test génétique de l’ex-femme de son client pour démontrer qu’elle ne saurait, génétiquement, avoir la garde des enfants.
Sumatra se situe sous l’Équateur. Hagar travaille sur cette île indonésienne : il guide les touristes désireux de voir des créatures naturelles dans leur milieu de jungle et de broussailles. Pourtant, un orang-outan intrigue particulièrement le groupe qu’il dirige aujourd’hui. Et pour cause, ce dernier parle. Et insulte les touristes… en plusieurs langues ! Henri Kendall ne devrait pas avoir de raisons de s’inquiéter, il a travaillé avec nombre de chimpanzés dans sa carrière, il y a peu de risques que celui-ci soit parmi les animaux génétiquement modifiés. D’autant qu’une rumeur surgit tellement vite à la télévision. On ne peut pas croire n’importe quoi.
Pas comme cet article du Times qui relate comment un labo a démontré que le gène de la blondeur disparaîtrait d’ici deux cents ans. Seul problème, le labo à l’origine de cette parution… n’existe pas. BioGen Research est une firme trop sérieuse pour s’intéresser à ce genre de papier. Leur boulot consiste à isoler un gène, à lui trouver une fonction et à breveter le tout. Josh Winkler le sait bien : son équipe a récemment identifié le gène de la maturation. Il accélère vieillissement et la maturité chez les rats. Le traitement de maladies neurodégénératives est en bonne voie avec ce type de découverte. Et son toxico de frère d’en respirer une grande rasade et de se voir métamorphosé peu temps après en citoyen exemplaire ! Son frère !
UCLA traite d’ailleurs avec BioGen. La fameuse université californienne avait cultivé des tissus du corps de Frank Burnett traité pour un cancer. Il s’avéra alors que les gènes de M. Burnett, oui le père d’Alex, contenait un gène particulièrement intéressant qui permit de soigner plus efficacement son cancer. Fort de cette découverte, UCLA n’était pas peu fière d’être à l’origine de cette découverte. Sauf qu’après dépôt de brevet, le gène identifié appartenait légalement à BioGen. Et plus à M. Burnett. Et pour s’approvisionner en tissus frais, la firme a obtenu de la Justice que les gènes de M. Burnett soient la propriété exclusive de BioGen. Charmante perspective.
Les entrelacements des différents personnages n’ont par ailleurs pas fini de vous étonner. Tout se joue entre avocats, chercheurs, médecins, conférenciers et particuliers… Tous réunis autour d’un problème central : la génétique. Certes, ce thème n’est pas tout à fait neuf chez Michael Crichton. Depuis Jurassic park, on le sait friand de ces histoires. Mais ici, le traitement de ce futur prend une tournure et des implications radicalement différentes. En fait, les questions soulevées dans Next fiche sacrément froid dans le dos.
Et l’on s’écrierait même que Next est un livre intelligent. Pas seulement du fait des recherches effectuées pour son élaboration, même si elles semblent nombreuses et solides. Pas seulement du fait des situations et de la trame narrative qui se développent au cours du récit. Si elles sont angoissantes, ce n’est pas un effroi dû à l’horreur qui nous envahit : c’est cet aspect anticipation criant, non, hurlant d’une vérité et d’une probabilité déjà en cours.
La génétique devient un élément banal, et le clonage, bien qu’il suscite encore des protestations, est entré dans les esprits comme une possibilité qui n’appartient plus au seul domaine de la science-fiction. Next en développe juste les dérives. Et elles sont effrayantes. Pour qui n’y avait jamais songé, ce livre devient un véritable laboratoire à projections futuristes calamiteuses. Pour l’amateur, Next délivre un message plein de sens et une réflexion saine sur les brevets et les abus qu’ils engendrent.
Pour le scientifique ou les patrons d’entreprises biotech, Next représente un garde-fou urgent. Une limite à préserver entre stupidité mercantile et avertissement sans frais : si l’on outrepasse ce qui se trame dans ce roman, des paradoxes invraisemblables naîtront. Comme celui de se retrouver fournisseur de tissus auprès d’une firme, soi, mais également ses descendants, détenteurs du gène concerné.
Next est un livre intelligent, qui contraint à prendre conscience et à réfléchir. Mais c’est avant tout un roman extrêmement bien ficelé, qui se dévore et se déguste. Rempli de subtilités et de situations inextricables, quoiqu’un peu linéaire, il ne tombe jamais dans la démonstration pesante. Il romance, mais met en garde. Peu de longueurs, peu de pages que l’on saute, le tout est entrecoupé d’extraits de magazine, plus ou moins fictifs, qui, loin de donner un bol d’air, maintiennent la pression qui se crée autour des manipulations génético-juridico-médicales…
Next est un livre rare d’intelligence, mené par un romancier conscient et alerte. Si l’on tire encore des sonnettes d’alarme en littérature, Next est de ces alertes.
Après, la parole est à la défense…