Le livre de, journaliste à Rue 89 est un objet insolite et surprenant. Cette enquête d'investigation se lit comme un roman, passionnante et éclairante, toute en tension, à la fois curieuse et très sérieuse mais sans ennui.
D'un intérêt sociologique autant qu'éthologique, le livre, à la fois rigoureux et clair mais garni d'anecdotes incroyables se déguste, tel un bon roman d'aventures, accompagné, de surcroît, d'un rythme alerte, d'une écriture fluide très agréable et d'une tonalité assez légère et drôle. Bref, voilà l'assurance d'une lecture divertissante et intelligente à la fois.
Comme de nombreux Français, la narratrice et auteure a peur des rats et lorsqu'elle emménage dans son nouvel appartement parisien, elle trouve dans un placard, un vieux piège à rats qui réveille alors une véritable obsession pour ces animaux, occupant bientôt ses journées et ses nuits.
Même la société de dératisation qui se déplace ne suffit pas à la rassurer et attentive, depuis son immeuble, elle aperçoit des rats courir dans la rue, discerne rapidement entre ses murs des frottements, des grattements, des mouvements de bêtes qui détalent derrière les cloisons.
Irrationnelle alors la peur s'installe chez la narratrice, envahissante et contraignante mais, plutôt que de l'anéantir et la paralyser, elle dépasse cette phobie de manière très habile en se plongeant dans une quête passionnante sur l'origine des rats à Paris.
A travers la littérature, en citant Mirbeau, Lovecraft, Gautier, Orwell ou Vargas, l'auteure explore la musophobie. Lorsqu'elle relève les faits-divers parus dans les journaux au XXème siècle mettant en scène la cruauté des rats, elle légitime ses peurs mais elle s'attarde aussi, telle une historienne, sur des événements tragiques causés par la peste en 1348 à Paris ou au XIXème siècle.
Elle étudie aussi avec précision les batailles politiques autour de ce fléau, les populations stigmatisées (chiffonniers, Juifs d'Orient) et le déferlement de haine xénophobe que la prolifération des rats à Paris entraîna, relate avec intérêt le siège de l'armée prusse à Paris en 1870 qui contraignit la population rationnée et affamée à manger du rat, fit naître les chasseurs de rats et développait les chats ratiers.
Elle surprend encore plus à l'évocation des ratodromes, des luttes (carrément inimaginables) de l'homme avec l'animal. Sans oublier les tranchées infestées de rats, les égouts parisiens.
Puis avec autant de rigueur, elle explore et énumère toutes les dispositions prises pour chasser les rats de Paris, (de la création des poubelles fermées aux tapettes; du métier de piégeur au laboratoire du rat puis à l'UPNA) apporte des détails inédits sur la constitution du rat (voit flou, ne peut vomir, meurt si on lui coupe la queue, excellent nageur, etc.) et sur son comportement (néophobe), apprend à distinguer le surmulot, du rat brun ou du rattus norvegicus, évoque la leptospirose et les recherches de l'Institut Pasteur.
Et bien plus encore.
Car plus elle s'informe, plus elle maîtrise le sujet et plus elle contient son angoisse à distance.
Ainsi avec une précision et une réalité saisissante dont on ne doute pas qu'elle a été vécue, Zineb Dryef rend compte au lecteur, à la fois de ce mouvement salvateur et thérapeutique qu'elle met en place mais aussi des informations qu'elle découvre en menant ces recherches. Une stratégie personnelle inédite, qui force le respect et attise d'autant plus la curiosité du lecteur, qui, d'emblée, n'était pas forcément acquis au sujet.
Maintenant, avec une certaine excitation, le voilà bien décidé à poursuivre l'enquête et la bibliographie en fin d'ouvrage est une aubaine !