Maîtresse, Mrs Saphira Colbert, prend le petit déjeuner avec son mari, Henry, avant que ce dernier ne rejoigne le moulin où, dit-il, il préfère s’occuper de tout plutôt que de confier la tâche à un contremaître qu’il devrait surveiller et contrôler, ce qui ne réduirait nullement sa part de travail alors que la qualité des produits issus de son moulin ne serait pas aussi belle que lorsqu’il s’en occupe lui-même.
Washington, l’un des esclaves, noir, de Mrs Sassy, qui veille à la qualité du service autour de la table est renvoyé hors de la pièce car Mrs Sassy désire discuter avec son mari du fait qu’elle envisage de donner suite à la demande du major Grimwood qui souhaiterait lui acheter l’une de ses esclaves.
Malgré le fait que les nombreux esclaves de la maison appartiennent tous à Mrs Sassy, issue d’un milieu bien plus aisé qu’Henry, ce dernier s’oppose totalement à la vente de Nancy, la fille « pain d’épice » de Till issue d’une lignée de quatre générations au service de la famille de Mrs Colbert.
Les arguments qu’Henry met en avant n’expriment pas totalement son ressenti réel. En fait, il est trop satisfait de la manière dont Nancy s’occupe du moulin où il passe le plus clair de ses jours et de ses nuits surtout depuis que Saphira est devenue quasi impotente, soufrant d’hydropisie.
Mais, au-delà de cette satisfaction un peu égoïste, c’est une opposition de vue importante qui sépare Henry, aux idées progressistes qui ont déteint sur leur fille Rachel, et son épouse, totalement ancrée dans la ligne esclavagiste qui a bercé toute son enfance et toute son éducation.
Une opposition que les origines plus modestes d’Henry et l’idéologie dominante en Virginie à cette époque, n’autorisent pas celui-ci à afficher hors de ces conversations privées ?
Mais pourtant dont la germination, en lui comme dans une partie grandissante de la société civile, va faire naître la Guerre de Sécession.
L’intérêt majeur du livre de réside assurément dans le fait qu’il est originellement paru en 1940 et qu’il reflète donc un état d’esprit qui a encore devant lui beaucoup à faire avant que l’Amérique n’élise un Président Noir.
Et même s’il parait évident qu’elle a pris fait et cause pour le parti abolitionniste, elle reste malgré tout dans un registre qui peine encore à faire la bascule. Les esclaves noirs restent des « nègres » avant tout et elle me fait un peu penser, parfois, à cette image d’une BD de Lucky Lucke où un officier nordiste s’essuie la main après avoir serré celle d’un Noir qui vient de lui être présenté !
Dans un tout autre registre, il reste amusant de constater comment sont largement traités les sujets domestiques relevant de l’autorité féminine dans la maison - de la décoration aussi bien intérieure qu’extérieure aux activités culinaires - alors que le fonctionnement du moulin d’Henry reste un petit mystère. Là encore, j’ai souvent un peu souri en pensant au Manuel que j’ai trouvé dans un grenier, datant de l’entre-deux-guerres et destiné à l’éducation des futures femmes d’intérieur : on n’enseignait pas aux demoiselles le fonctionnement des moulins, fussent-ils à vent…
Mais il serait réducteur de ne voir que cela dans ce livre.
Il est aussi et surtout le témoin d’une page importante de cette Amérique qui n’en finit pas de se débattre dans ses contradictions lesquelles ne manquent pas de déteindre, aujourd’hui encore avec tant de vigueur, sur tous les peuples de la planète.
Et partout il continuera d’exister des Saphira dont les certitudes ne sont pas ébranlées par grand-chose, des Rachel qui se dévouent à toutes les grandes causes humanistes, des Nancy qui arrivent à s’en sortir et des Henry qui peinent à choisir ostensiblement leur camp.
Malgré son écriture que j’ai trouvée un peu désuète, ce roman reste un message d’espoir qu’il n’est pas inutile de se répéter encore et encore.