Le roman est un succès couronné du Prix Pulitzer. Déjà plus de 1,5 millions de lecteurs annonce son éditeur français. Même si le nombre exceptionnel de lecteurs ne garantit pas forcément la qualité d’un livre, conduirait même à la méfiance, il faut bien admettre, cette fois-ci que ce roman comporte en lui une puissance romanesque et une construction narrative irrésistibles auxquelles on a bien envie de rendre grâce.
S’il n’a sans doute plus besoin d’être présenté au public, naturellement pourtant naît l’envie et l’urgence de transmettre ce plaisir de lecture. 600 pages que vous lirez sans peine, ni ennui, habilement agencées, capables non seulement de vous émouvoir et de vous surprendre, de vous transporter dans une autre époque, dans des lieux précis, de vous embarquer dans une aventure humaine singulière à laquelle vous ne vous étiez pas tout à fait préparé mais que vous ne pouvez plus lâcher. Si parfois les effets de style paraissent classiques et prévisibles, ils s’accordent au mieux avec l’histoire et garantissent ce succès populaire et littéraire.
De courts chapitres, deux histoires entrecroisées, deux pays ennemis, deux jeunes personnages, l’un Allemand, l’autre Française et une histoire de diamant (l'Océan de flammes) et de malédiction ("il porte malheur à qui le détient"), façonnent cette histoire presque magique, pleine d’humanité, à la fois tragique et lumineuse, passionnante et émouvante, extrêmement visuelle, marquée par les paysages sombres d’une Allemagne industrielle grise et décatie, le Paris occupé et Saint-Malo, balayé par la mer, ses hautes maisons protégées par les remparts, puis bombardées par les alliés, en feu et bientôt détruites.
Deux histoires parallèles donc, celle de Werner Pfennig, jeune orphelin élevé avec sa sœur près d'une mine de charbon par une religieuse alsacienne puis admis dans une école d'élite du Reich avant de rejoindre la Wehrmacht, enrôlé pour détecter les transmissions illégales de la Résistance et Marie-Laure Leblanc, aveugle à six ans et orpheline de mère, exilée à Saint-Malo chez son grand-oncle lorsque son père, serrurier en chef au muséum national d’histoire naturelle de Paris est fait prisonnier et interné dans un camp de travail en Allemagne.
Deux êtres intimement liés sans le savoir, qui tour à tour, se révèlent au lecteur avec une grande sensibilité et une finesse remarquables, s’attirent inexorablement, fusionnent presque l’espace d’un court instant qui marque à jamais leur destinée à venir et celle de leurs proches.
Sans excès de pathos, avec une certaine douceur poétique, dépeint ses personnages, leur parcours initiatique hors du commun, captivant et envoûtant, porté par un mouvement de balancement agréable, fluide et rythmé. La lecture devient enthousiasmante plus elle progresse, plus elle intensifie aussi le suspense autour de la disparition du diamant ; et les allers-retours entre 1941, 1944 et 1945, portés par un bel équilibre créent l’impatience, le besoin irrépressible de tourner les pages sans répit. Le lecteur est entraîné, n’a qu’une envie, suivre ces personnages, guetter la rencontre pressentie dès le départ, la partager même avec les deux héros, et simultanément résoudre l’énigme de ce joyau.
Empreinte de mystère, de délicatesse, de beauté et de sagesse, parfois cruelle et désespérée, l’histoire de Werner et Marie-Laure, malgré l’époque sombre de la guerre, irradie par-delà les bombes et les arrestations, les privations de liberté, la misère et l’horreur, la vie sous l’occupation, les conditions de survie au sein de l’armée allemande, la brutalité du front et livre une fresque historique passionnée, documentée et fouillée, subtile et vive où chaque sens s’éveille, délivre des impressions de réel saisissantes, pourtant presque imperceptibles d'ordinaire. " Marie-Laure peut entendre des nénuphars remuer dans des marais, à trois kilomètres de distance. Des Américains se faufiler à travers des champs, pointer leurs énormes canons sur la fumée de Saint-Malo. Des familles renifler autour des lampes tempête dans des caves, des corbeaux sautiller de décombres en décembres, des mouches se poser sur des cadavres dans des fossés".
Rien d’étonnant alors que les droits d’adaptation cinématographiques aient déjà été achetés par la 20th Century Fox. Ce livre est déjà à un film.