En Alaska, la pêche est un sport universellement pratiqué par tous, en tout temps et en tous lieux, sur les lacs et dans les rivières, à l’affût du saumon, roi de ces contrées, ou de la truite.
Un sport total où les mordus rivalisent de patience et de soin pour fabriquer des meilleurs leurres qui habilleront leurs hameçons. Des trésors de méticulosité pour tromper le poisson. De redoutables armes qui n’attrapent pas que des silhouettes mouvantes et argentées qui lancent des éclairs entre deux ondulations du courant.
A Soldotna, le docteur regarde avec étonnement le mannequin sur lequel elle épingle avec minutie les hameçons qu’elle a dû retirer sur des pêcheurs victimes de gestes malheureux ou de circonstances accidentelles. Sa collection est invraisemblable : oreille, plante du pied, aine, cuisse, bras, œil, rien n’est épargné ! Son mannequin en est intégralement recouvert. « Vont-ils un jour, finir par en tirer une leçon ? », s’interroge-t-elle.
En fait, ce recueil est étonnant.
Si, effectivement, chaque court récit (parfois lui-même encore découpé en chapitres de seulement quelques lignes) peut être lu de manière totalement indépendante des autres, aucun ne sort d’une espèce de ligne directrice qui fait de l’ensemble un bloc compact, cohérent et indissociable : difficile de ne voir que des nouvelles car elles sont toutes un ou plusieurs liens avec les autres, impossible d’y voir totalement un roman car l’absence de l’un ne changerait rien à l’aboutissement du tout !
C’est là un exercice parfaitement réussi qui, texte après texte, donne à la lecture un plaisir différent et un attrait tout particulier.
L’attrait d’un pays sauvage et de gens qui le sont un peu aussi. De grands espaces, une nature omniprésente, des cabanes avec les toilettes dans le fond du bois. Des pêcheurs, chasseurs, coupeurs de bois, buveurs, râleurs, bagarreurs, parfois quasi primitifs.
Des relations frustes et viriles, même de la part des femmes.
Et l’eau, et la pêche en mer ou en rivière et les saumons.
Et la neige, la chasse et les élans.
Et l’alcool qui noie tout y compris les relations, qui détruit tout sur son passage, qui rend normale la violence dans le couple ou avec les enfants.
Et l’esprit qui s’envole, grillé par trop de soleil, trop de froid, trop de rudesse du climat, trop de degrés d’alcool ingurgités, trop de degrés au-dessous de zéro, trop de vies difficiles ou ratées.
Les enfants trop compliqués à élever.
L’argent qui file dans les bars, dans les jeux.
raconte tout avec la précision minutieuse d’une entomologiste décrivant sa dernière découverte, sans rien oublier, sans rien cacher, sans rien omettre des travers ou des défauts. Ses personnages sont pleins de vie et de réalisme (à un point tel que la fiction paraît souvent aussi crue que la réalité) et se débattent tous comme les saumons pris au bout de la ligne.
Elle a su capter l’âme de son pays et la faire vivre à chaque page de son livre qui devient une délicieuse découverte malgré cette dureté générale ambiante.
Un premier ouvrage plein de promesses.