Oui, on commence rarement un éditorial en milieu de mois, mais bon, quitte à ne faire comme personne, autant le faire correctement. La prochaine fois, on s'attellera à le faire en fin de mois, histoire de varier les plaisirs.
Depuis plusieurs semaines, les Oeuvres de Claude Lévi-Strauss traînent sur un coin de mon bureau. Elles m'attendent, sachant que je n'en use qu'avec parcimonie. Ce carton réalisé par La Pleïade publié au début du mois de mai n'a pas fini de nous étonner : à Bordeaux, la librairie Mollat affirmait vendre autant de Lévi-Strauss que de Marc Lévy. Un comble...
Mais des oeuvres complètes, finalement qu'est-ce que cela nous apporte ? Et finalement qu'est-ce que veut dire publier les oeuvres complètes ? Ce n'est pas le cas de Lévi-Strauss, certes, mais la question ne manque pas d'intérêt quand on évoque la prestigieuse collection de Gallimard. A-t-on simplement envie de lire tout ce qu'un auteur a écrit, pourrait-on se demander, quand on se souvient de la polémique autour du dernier texte de Rimbaud, retrouvé dans des conditions improbables.
Tout, tout, tout, vous lirez tout sur X ou Z
Complet, c'est simple à comprendre. Il s'agit de tout ce qu'un auteur a pu rédiger dans sa vie. Mais "tout", c'est vaste. Ce qu'il a publié ? Ce qu'il a écrit ? Ce que d'autres ont écrit sur son compte ? Doit-on intégrer les variantes, les biffures et les lettres à son concierge ? On trouve souvent la correspondance complète chez Pleïade, et même dans ce cas, on n'aura que celles qui nous sont parvenues. La semaine dernière, plusieurs textes de Wilde ont resurgi, ce qui signifie simplement qu'avant, toute édition aurait été incomplète ?
Aux États-Unis, on trouve régulièrement des éditions qui vont être pointilleuses au point de publier tout ce qu'il est possible de trouver. Souvent réservées aux universitaires et aux chercheurs, le grand public se soucie rarement des états d'âme recensés à ce point ultime, et qui finalement font oublier les textes réels. Bref, des monuments indigestes qui relèvent plus de la compilation frénétique que de l'intérêt littéraire ou pour le reste de l'oeuvre.
Le diable est dans les détails, finalement
Les intégrales de La Pleïade ne manquent pas de contenu et hormis quelques rares cas, les préambules définissent souvent l'orientation donnée au choix des textes. Mais dans ce domaine, l'exhaustivité semble avant tout un leurre et les oeuvres complètes un mensonge qui s'ignore, ou plutôt n'est jamais parvenu à se définir. Voire, mais nous n'oserions l'imaginer qui n'a jamais cherché à le faire.
La question n'est pas tant à quoi servent ces éditions, qu'apportent-elles ? Pour prendre un exemple, Les Oeuvres complètes de Saint-John Perse, pourtant un livre admirable, qui contient tout ce que l'homme a produit de poésie, de prose ou de lettres laisse un étrange goût, même à l'amateur. Cela tient sûrement à la densité de l'écriture persienne, ou à sa profondeur, ou à sa lucidité. Mais il lui manque quelque chose. Comme il manque toujours quelque chose aux oeuvres complètes.
C'est souvent un peu de l'âme de l'auteur. Et il me semble que l'on la retrouvera toujours plus dans des livres épars. Un livre condensant toute l'oeuvre n'est que pratique. Sûrement pas vivant.