Ronal Segal, fondateur de la Bibliothèque Africaine Penguin et auteur de plusieurs travaux révolutionnaires à propos de questions internationales est mort du cancer à l’âge de 75 ans. Son soutien indéfectible à la lutte anti-apartheid avait atteint un apogée spectaculaire durant l’état d’urgence en 1960 quand il traversa en exil la frontière sud-africaine aux côtés du chef du Congrès National Africain, Oliver Tambo. Toutefois, même s’il s’était affilié au mouvement de libération pendant ses difficiles années d’exils, il n’acceptait pas pour autant aveuglément toute la politique du parti.
Dès son plus jeune âge, il s’était proclamé socialiste, affirmant qu’il ne voulait pas être millionnaire. Il n’avait pourtant pas le choix. Son père était le copropriétaire de Ackerman’s, le géant des chaînes de vêtements à bas prix. Dans leur résidence située sur les pentes de la Tête de Lion de Cape Town, ses parents sionistes divertissaient les dignitaires en visite. À huit ans, Il lut Parti Avec le Vent et une biographie de Disraeli. Ses proches le pensaient précoce ; se faisant réprimander par son oncle pour avoir dépensé ses six pennies pour des bonbons, Segal demanda alors s’il aurait dû investir dans l’immobilier.
Il fut admis à l’université à 16 ans après son lycée à Seat Point, et arriva en Angleterre avec l’espoir d’enter à Oxford. Cependant, même une lettre d’un contact de la famille Viscount Samuel, Haut Commissionnaire pour la Palestine et visiteur de Balliol College ne lui permirent d’éviter un examen d’entrée pour lequel son éducation sud-africaine ne l’avait pas préparé. C’était tant mieux.
À l’université de Cape Town, il sortit diplômé d’anglais et de latin et appris les rudiments de la vie politique. S’en suivit Trinity College, Cambridge où il fut plus influencé par Enid Welsford, directeur d’études sur les moralistes anglais que par FR Leavis. Un mémoire sur le Paradis Perdu lui valut une bourse universitaire à l’Université de Virginie, mais il trouva que Charlottesville ressemblait à « un monde musée ». En l’espace de six mois, en 1956, il était de retour à Cape Town pour lancer le magazine Africa South. Ce serait donc la politique.
L'homme qui dérange
Segal avait accès à une fondation familiale, car la publicité s’avérait difficile, d’autant plus qu’il ne pouvait pas compter sur les anciens partenaires de son défunt père. Africa South arrivait durant une période dangereuse, titillant un régime qui souffrait de moins en moins de critiques. Il donna une voix aux communistes, aux socialistes, aux libéraux (dont Alan Paton), à l’église et à d’autres personnes n’appartenant à aucune idéologie. L’économie, le travail des esclaves dans les fermes de blancs, le statut de l’Afrique du Sud-Ouest, la révolution : tout était traité ou encouragé. C’était un homme de conviction, mais pas entêté. Ses éditoriaux étaient tranchants, mais toujours pleins de bon sens. Il fut par exemple très dur sur l’invasion russe en Hongrie.
Il devint l’homme à abattre, sa tournée sur les campus américains dans lesquels il clamait avec passion la nécessité d’un boycott économique ne l’aidant pas. Son arrestation une nuit dans une municipalité africaine en possession d’une arme à feu et de pamphlets, appelant à un boycott des entreprises des Afrikaners ne l’aida pas non plus. Il perdit son passeport et fut expulsé en tant que « communiste ».
Après les fusillades de Sharpeville et son expulsion, tous les ennemis d’état étaient en détention. Tambo fut choisi pour diriger le gouvernement de l’extérieur. Segal le conduisit au Bechuanaland britannique (le Botswana actuel) avec la Vauxhall de sa mère afin de lui éviter l’arrestation. Finalement, ils arrivèrent tous les deux en Angleterre.
Deux ans plus tard, Segal épousa Susan Wolff. Quelques numéros supplémentaires d’Africa South sortirent de l’extérieur du pays pour jusqu’au jour où Pretoria coupa les vivres. Ensuite, Tony Godwin, rédacteur en chef des Livres Penguin demanda à Segal de lancer la série des Africa. Après Sharpeville, le public avait soif d’information et pendant une génération, les 65 titres, dirigés par Basil Davidson et Ruth First, comblaient ce besoin.
Écrivain de talent et passionné
Pendant tout ce temps, il écrivit aussi des livres. Après son autobiographie « En exil » (1963), il s’immergea en Inde, aux États-Unis, au Moyen Orient et sur une biographie de Trotski. Sa grande qualité était son engagement pour comprendre les choses à sa façon, son regard sur ces pays n’était pas conventionnel. Plus tard, il collabora avec Michael Kidron sur un atlas mondial qui fut réédité plusieurs fois. Son plus ambitieux projet serait aussi le dernier : un set d’accompagnement sur la diaspora noire, comprenant l’histoire du rôle de l’Islam dans l’esclavage en Afrique d'est en ouest.
La famille Segal vécut dans un manoir à Walton-on-Thames, autrefois la demeure de Justice John Bradshaw, qui probablement signa l’ordre d’exécution de Charles Ier dans son salon. Son implication au niveau international s’accompagna de la même envie au niveau local et par le biais d’une association de résidents, il gagna les sièges du district de Elmbridge.
Entre tous ces voyages, Segal était un passionné de littérature et de musique classique. Il collectionnait les 1res éditions, en particulier Henry James, George Orwell et Graham Greene. Sa bible restant le marxiste Joe Slovo.
Quand son expulsion fut levée par le gouvernement sud-africain, Segal retourna dans son pays natal de nombreuses fois, y compris pour un accueil en héros en 1992 quand il partagea l’estrade avec Mandela, Tambo, Slovo et d’autres pour donner un discours particulièrement brillant à l’inauguration du prix de journalisme commémoratif pour Ruth First pour son rôle après la mort de cette activiste suite à un colis piégé en 1982.
Il laissa derrière lui, Susan, Olivier et ses filles Miriam et Emily. Ronald Michael Segal, éditeur, auteur activiste, né le 14 juillet 1932; décédé le 23 février 2008.