Soudain dans la forêt profonde

Le principe du livre, proposé dans un attrayant format à l'italienne, est de faire revivre par le texte et l'image l'existence quotidienne des hommes et des femmes plongés dans la guerre, qu'ils soient combattants ou civils, français ou algériens. Le conflit est traité sous la forme de doubles pages thématiques évoquant chacune un angle particulier de cette « guerre sans nom » et de son histoire (« Partir pour l'Algérie », « Refuser la colonisation », « Combattre pour l'indépendance », etc.). Chaque double page combine des textes courts et de nombreux éléments visuels (images d'archives, communiqués, photos, affiches, journaux, etc.), mais la majeure partie des images sont des dessins de Jacques Ferrandez, issus de sa célèbre série BD en dix volumes Carnets d'Orient.

Je n'ai jamais accroché à aucune émission de télé-réalité : comme les parents de Yasmina, l'héroïne de ce très réussi Éloge de la surface, ce genre de divertissement m'emmerde et j'ai mille autres manières de mieux gaspiller mon temps. En lisant des BD, par exemple. Fascinée par les émissions de trash-TV, Yasmina, psy de profession, décide, pour damer le pion à sa famille d'intellectuels brillants, et leur foutre la honte au passage, de participer au casting d'une émission.

Pas de bol pour elle, son numéro de godiche amateur ne fonctionne pas trop : elle est repérée par l'équipe de tournage et engagée comme... journaliste, notamment pour scripter "Les sudistes en Thaïlande" et animer les longues interviews en face caméra qui ponctuent l'émission. Au lieu de briller sous les feux des projecteurs, elle se retrouve dans l'ombre, mais ce qu'elle découvre est passionnant.

Docu-fiction rondement bien mené, cet album plonge comme le sous-titre l'indique "dans les profondeurs de la téléréalité" et parvient, assez habilement, à retourner les arguments des détracteurs de ce genre d'émission. Sans pour autant donner envie de se passionner pour les interminables papotes filmées entre influenceurs tatoués, on prend plaisir à mieux comprendre comment fonctionne cette machine à fasciner pendant des heures les cerveaux fatigués de millions de téléspectateurs.

Bien mieux scénarisé qu'un épisode des marseillais, dessiné avec nervosité, énergie et, dirait-on, beaucoup d'amusement, cet "Éloge de la surface" est une excellente surprise à savourer au bord de la piscine. En se disant qu'on vit tout de même dans une époque étrange, où le pognon fait faire aux producteurs, aux chaînes et aux candidats, de fameuses conneries. 

"We all live in a Yellow Submarine, Yellow Submarine, Yellow Submarine..." Bon, il est plus tentant de passer sa vie dans le sous-marin des Beatles que dans - rayez la mention inutile : le cercueil ou la prison, ou la boîte de conserve, que peut être un submersible dans la réalité. Surtout en temps de guerre... 

chronique BD avec BDfugue

Mais c'est une aubaine scénaristique ! La promiscuité, source de conflits au sein de l'équipage ; L'eau qui s'obstine à rentrer par tous les orifices ; Les grenades sous-marines qui secouent le bâtiment comme un shaker et la scène obligée qui suit, où tout le monde scrute l'aiguille indiquant la profondeur : vers le haut, c'est la vie. Vers le bas, la mort !!! Tout cela, au cinéma mais en BD ? 

Eh bien, une parution récente me fait penser qu'il existe nombre d'ouvrages sur ce thème. de Martin Trystram et Romain Baudy (Casterman) nous arrive donc, et tente le grand écart entre réalisme et onirisme. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Udo Grothendieck rejoint l'équipage d'un U-boot navigant dans le Pacifique. 

Novice, il est chahuté par l'équipage qui découvre dans son paquetage un livre, un de ces ouvrages interdits par le régime nazi, et dont la possession peut valoir la cour martiale. Sans y jeter un simple coup d'œil, les marins le font disparaître en tirant la chasse des toilettes. Le temps passe, Udo fait la connaissance de Rosenbart le mécanicien qui sait tout sur tout le monde et aussi du capitaine, un homme irascible, tourmenté. Mais voilà que le livre fait sa réapparition, comme par magie ! 

PACIFIQUE, Romain Baudy / Martin Trystram

sur BDFugue.com

Plus violemment les hommes essaient de s'en défaire, plus vite il revient. Et commence à se multiplier en nombre. Jusqu'à la folie... La force hypnotique du livre, l'irrationalité des évènements enflamment les esprits. Le capitaine, en proie au délire, voit des sirènes envahir son bâtiment. La guerre semblant terminée, la décision est prise de ne pas rejoindre l'Europe en ruines, mais de gagner l'île la plus proche et d'oublier ce passé meurtrier. 

Là se trouve un cimetière de bateaux : havre de paix ou dernière demeure pour ces hommes déboussolés ? Le mystère demeure entier, comme le contenu du fameux livre, jamais révélé. Si la volonté de ne pas tout expliquer est respectable, les auteurs n'articulent pas très bien - à mon goût - le côté aventure et le côté fantastique qui se contredisent à la fin de l'album. Reste un superbe dessin et de très belles couleurs, dans un format "à l'italienne" parfaitement  adapté au propos. Alors, d'autres histoires de sous-marins, jadis ou naguère ? 

Dans un registre réaliste, Kaleunt de Dimitri (Glénat) me plaît toujours : son trait buriné rend parfaitement convaincant ce récit tragique où les simples soldats sont avant tout des victimes de la guerre, qu'ils soient dans l'un ou l'autre camp... Très classique, U-47 de Mark Jennison et Gerardo Balsa m'intéresse pour ses suppléments sous forme de textes et photos, mais pas pour son dessin, assez ennuyeux. 

IMMERGÉS TOME 1 ; GÜNTHER PULST

Nicolas Junker, sur BDFugue.com

Commando colonial d'Appolo et Brüno (Dargaud) ne connaît qu'un épisode se déroulant pour partie dans un sous-marin, mais je suis fan de cette série et ne manque jamais une occasion d'y faire allusion !

À lire absolument !

Comme le Nemo du même Brüno (Treize étrange) qui revisite le texte de Jules Verne avec un talent fou. Le fond des mers et ses splendeurs nous y fascinent comme jamais... Et pour clore cette liste non exhaustive, mon préféré : Immergés de Nicolas Juncker (Treize étrange)… 

En trois parties, chacune traitant d'un personnage en particulier, un des membres de l'équipage d'un U-boot. Jamais on n'a rendu avec plus de force et d'émotion le quotidien dans un sous-marin en temps de guerre. Chaque planche est constituée d'un empilement de petites cases où le dessin est engoncé, comme rentrée au chausse-pied.

Le trait est sale, les onomatopées tonitruantes quand le bâtiment fait tourner ses moteurs à plein régime : on les entend presque ! Du grand art !!! Hélas, la série est aujourd'hui abandonnée...

« Les inégalités de richesse n’ont jamais été aussi grandes qu’aujourd’hui. »

« C’est toute la limite du féminisme d’État qui défend l’égalité professionnelle pour le haut de la hiérarchie des emplois, mais pas l’égalité économique au sein de la famille. »

Une passionnante synthèse d’études qui se lit très facilement. Faire discuter des chats des inégalités de richesse relève du génie !

est un endroit unique, à nul autre semblable. Derrière les murs qui l'entourent se cache une véritable société, un monde coupé du monde. Cette cité a été bâtie il y a bien des siècles, par le Capitaine Capelan. Et depuis, de génération en génération, la vie y suit son cours, avec ses propres règles. Les Capelan ne franchissent jamais l'enceinte de la maison et n'ont aucun rapport avec l'extérieur. Seuls les domestiques sortent parfois et seules quelques femmes y entrent pour se marier. Une véritable harmonie séculaire semble donc régner en ces lieux. Mais le jour où Etersage Capelan, le dernier capitaine, meurt, Omnia Capelan -âgée de douze ans et quart - semble ne pas vouloir croire à l'accident. Trop d'évènements inquiétants se produisent : un passage secret menant vers l'extérieur, un mystérieux oiseau noir planant au-dessus des tours, des ombres se faufilant et des dangers qui semblent la viser ! Elle décide de découvrir ce qu'il se passe réellement, quitte à mettre sa vie en péril…

Vous aimez les histoires avec des maisons remplies de recoins secrets, de pièces aux noms bizarres (le Hall des Inclinaisons, la Fontaine Crachotante…), des histoires dont l'héroïne est une fillette rebelle et aventurière, entourée de personnages aux noms étranges, mais drôles (Etergrand, Etersonge, Basilica …) ?

Bienvenue dans la Maison Sans-Pareil!
Par la voix d'un narrateur omniscient, l'auteur, Eliott Skell, permet -comme dans un conte - de planter le décor.
Il y a énormément de lieux et de personnages, de ce fait, le lecteur peut se sentir un peu perdu et l'enquête d'Omnia semble reléguée, parfois, au second plan. Cependant, ce sentiment de déroute finit par passer très vite. Rappelons qu'il s'agit d'un 1er tome (« L'oiseau noir ») et que l'auteur esquisse les bases de son univers pour sans nul doute mieux le développer par la suite. Aussi, une fois le livre terminé, l'attente du tome 2 se fait plus forte !

Un titre à consonance étrange et inquiétante et une couverture noire sur laquelle figure une belle jeune femme au regard mystérieux, presque apeuré donnent le ton de ce roman fantastique, a mi-chemin entre l'intrigue policière et paranormale, destiné  principalement à des adolescents de fin de collège car certaines scènes, plutôt bien décrites, assez saisissantes, soulèvent à la lecture, une certaine crainte, un réel malaise, parfois même de l'effroi. A ne pas lire seul(e) la nuit ! Frissons garantis !

est le nom d'une petite ville américaine, « trop tranquille pour héberger des gangs »,  où sévit un tueur en série qu'on soupçonne être un loup garou, c'est-à-dire un être humain, porteur du syndrome lycanthrope et capable donc de se transformer en loup et de dépecer ses proies avec violence et cruauté. Une seule morsure ou une blessure peuvent suffire à contaminer un homme et à le transformer en monstre pour le restant de sa vie. L'histoire démarre à la mort d'une jeune femme, Amy, petite fille de sénateur, retrouvée morte, probablement assassinée par un loup garou.

Sa meilleure amie, Mackenzie Dobson, héroïne du roman est très affectée par ce meurtre, tente de comprendre ce qui a pu se produire, ne peut se résoudre à accepter cette mort tant la présence de son amie se manifeste encore autour d'elle. Avec la complicité de son meilleur copain, Kyle et Jason, l'ami d'Amy, tellement affecté qu'il a commencé à boire,  elle tente d'oublier et de se reconstruire puis commence à enquêter sur les circonstances de la mort d'Amy, plus obscures qu'elles ne paraissent. 

Mais c'est sans compter l'ambiance nauséabonde qui sévit dans la ville depuis ce meurtre. Une sorte de milice, les Trackers, a investi la ville et traque sans relâche les loups garous avec des méthodes brutales, ultra-violentes, tolérées par la police.  « Officiellement, les Trackers étaient soumis aux mêmes lois que tout le monde ; en réalité, la police les laissait faire ce qu'ils voulaient quand ils débarquaient en ville. » Suspicion et intimidation sont de mises et bientôt ces unités spéciales font régner dans la ville un climat de peur et d'inquiétude pesant.

Un univers fantastique aux allures réalistes, voire symboliques qui n'est pas sans rappeler les violences extrémistes de certains groupuscules racistes à l'égard des minorités. On frissonne, tant les scènes de combats sont réalistes.

Dans ce contexte effrayant, intolérant et violent, se dessine pourtant une histoire sentimentale, très ordinaire, proche assurément du quotidien des lecteurs et les interrogations des personnages, les relations humaines qu'ils entretiennent entre eux pourraient s'intégrer sans problèmes dans la vie d'adolescents contemporains, toutes catégories sociales confondues. Une tonalité juste, une pointe d'émotion, des instants sensibles mais aussi l'évocation d'un contexte social et politique bien actuel  offrent au récit de l'intérêt, une proximité réaliste avec les personnages même si l'existence des loups garous place volontiers l'histoire dans un genre fantastique.

Ce roman s'annonce comme le premier d'une trilogie mais peut se lire indépendamment de la suite. Il offre au lecteur un récit autonome et une fin, même provisoire, satisfaisante et aboutie.

Cette fois-ci, n'écrit pas un roman de fiction. Il parle de lui et de l'incroyable voyage qu'il a vécu, il y a de nombreuses années. Tout jeune à cette époque, décide de partir avec son frère, Yannik, et un ami, Jordi. La destination est lointaine; les amis se dirigent «aux confins du Pakistan et de l'Afghanistan, dans la chaîne des hautes montagnes de l'Hindou Kouch». Là-bas, les jeunes Occidentaux vont découvrir des habitants qui vivent bien différemment, des hommes qui font passer le travail des champs avant tout car il faut manger impérativement, des hommes qui ne jugent pas, des hommes accueillants, des hommes qui ont d'étonnantes croyances. Car là-bas, on parle de fées et de démons. Est-ce la réalité? Les jeunes amis décident de mener l'enquête. Mais c'est surtout une légende qui les intéresse: celle du barmanou, cet Homme Sauvage qui hante les récits des habitants de la région, rebute les scientifiques Occidentaux et intriguent les jeunes rêveurs. Alors, Erik, Jordi et Yannik traquent, cherchent, écoutent les témoignages. Ils découvrent beaucoup sur le monde, sur la vie des hommes, sur eux-mêmes et sur le barmanou. Auront-ils la chance de le croiser?

Dans ce témoignage réel, Erik L'Homme nous parle comme si nous étions son confident. Il nous raconte tout, ses joies mais aussi sa nostalgie. Ce voyage a été une source d'émerveillements et a aussi été difficile à vivre, tant moralement que physiquement. Mais Erik L'Homme ne regrettera jamais son expérience. À son récit, s'ajoutent de magnifiques photographies et des dessins du barmanou. Voilà qui donne envie de faire son sac-à-dos et de partir à l'aventure? Et si la possibilité manque, Des pas dans la neige, Aventures au Pakistan permet au moins de découvrir celle de l'auteur.?

Un premier coup d’œil, et on s’embarque dans cette histoire étrange : On ne se baigne pas dans la Loire résonne comme un mantra. Ou une injonction ? Un ordre ? Un avertissement ?

Depuis 1969, les autorités ont prohibé toute baignade dans le fleuve, qui compte bien trop de dangers — de noyades provoquées par un courant instable, violent et des spécificités naturelles dangereuses.

Mais on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, n’est-ce pas ? Alors quand quelqu’un propose d’aller se baigner, au mépris (ou dans l’inconscience) du danger, cette après-midi aoûtienne pourrait tourner au drame.

Dans un mouvement similaire à cette brisure qui sépare définitivement l’enfance de l’âge adulte : l’indolence de l’aventure changée en obligations de citoyen.

Premier « roman de vieillesse », comme le dit lui-même Guillaume Nail, voici l’histoire d’une journée parfaite. De celles qui ressemblent à la mue de la chrysalide : qui sait ce qui nous attend ensuite…