Ce nouveau roman policier suédois a la particularité et l'intérêt de placer son intrigue au cœur d'une région (l'extrême nord) et d'une Histoire singulières de la Suède (l'émigration vers l'URSS dans les années 1930) et offre, de ce fait au lecteur, un dépaysement insolite et un attrait spécifique qui ne sont pas sans rappeler d'ailleurs le dernier roman de Fin d'été (Albin Michel, 2015).
Documenté et très visuel, ce livre est assez fascinant, attise la curiosité du lecteur, crée réellement l'envie d'en savoir plus. Ainsi, au-delà du suspense et de la tension, c'est sans doute avant tout sa spécificité géographique (proximité avec la Finlande et la Russie) qui intéresse et retient, sans ennui, pendant plus de 400 pages et contraste sans décevoir avec une Camilla Läckberg ou un Stieg Larsson.
Une héroïne déterminée et convaincante, des personnages secondaires d'envergure qui prennent facilement vie sous les yeux du lecteur, une ambiance hivernale et une Russie décatie, gangrenée par des gangs mafieux, finement décrites, des liens familiaux complexes et troublants, une plongée dans le passé ; tout cela garantit une histoire dense et multiple, très rythmée, aux tonalités différentes mais bien équilibrées à l'intérieur de laquelle la quête de connaissances, l'attention à la réalité historique priment effectivement sur le désir de frisson ou de rebondissement. Mais sans déception, bien au contraire !
Katrine Hedstrand, journaliste suédoise en fin de contrat installée à Londres est rappelée à Stockholm suite à l'hospitalisation de sa mère devenue sénile. Occupée à trier ses papiers personnels, elle découvre que sa mère possède une maison à Kivikangas dans le nord de la Suède et à la frontière avec la Finlande, et qu'une agence immobilière souhaite l'acquérir pour un tiers à un prix exorbitant.
" Sa mère ne lui avait transmis aucun souvenir. Pourquoi ?"
Intriguée par cette maison dont elle ignore tout mais dont elle suppose qu'elle est un bien familial, Katrine, disponible, décide de se rendre en Tornédalie. Elle y découvre une petite communauté sous le choc. Un vieil homme, Erik Svanberg, ancien skieur renommé, a été assassiné de manière brutale.
En enquêtant sur son histoire familiale, elle se retrouve très vite confrontée elle-même à cette enquête criminelle qui la bouleverse autant que les informations qu'elle découvre peu à peu sur ses origines. Tout semble vouloir s'emmêler et au fur et à mesure, qu'elle progresse dans l'histoire de sa mère, aidée notamment par Thore Palo, l'ancien policier du village, elle éclaircit aussi celle de Svanberg, relie des faits anciens entre eux et échafaude des suppositions qui la mènent bientôt jusqu'en Russie, de Saint-Pétersbourg à Petrozavodsk en Carélie, plongée dans les archives de l'Union soviétique mais aussi confrontée au grand banditisme actuel du pays .
Excessivement tenace, peu craintive également, et souvent bien secondée elle reconstitue l'arbre généalogique des siens et sa perspicacité la mène plus loin encore, jusqu'à résoudre elle-même l'enquête de Kivikangas.
Un personnage très romanesque que le lecteur accepte de suivre sans détours, même si, de temps en temps, quelques situations improbables ou les liens pour relier les histoires entre elles manquent un peu de clarté.
Il n'empêche, la description intime de cette région septentrionale où chacun s'épie, marquée par le poids de l'Histoire, l'isolement, la solitude, l'ennui et la désolation, la boue et la neige saisit le lecteur, l'imprègne avec force de l'ambiance si singulière et désespérée d'une ville sinistrée qui se dépeuple et semble condamnée à mourir.
"Ici il y a huit saisons, une richesse que personne ne pourra nous enlever, pas même l'Etat qui a déjà fait main basse sur les minerais, le bois et l'énergie du fleuve […] Si on avait pu mettre à profit nos ressources naturelles, il y aurait du travail ici. Mais voilà, on doit laisser partir nos jeunes."
Parallèlement, les incursions en Russie sont tout aussi remarquables, et le lecteur n'a aucune difficulté à ressentir d'un côté la grisaille et la noirceur du ciel pollué, les immeubles décrépis et insalubres, la résignation des gens issus du peuple, l'empreinte encore forte du stalinisme et de l'Union soviétique et de l'autre, la nouvelle Russie, le luxe et le mauvais goût, la corruption, la violence et l'arrogance d'anciens membres du KGB.
Un dépaysement garanti, des allers-retours entre la Suède et la Russie, entre aujourd'hui et hier, une quête identitaire sensible, une construction plutôt rigoureuse, quelques soubresauts (mais sans excès), de rares fausses pistes pour tenir en haleine, un rythme fluide, procurent une lecture très divertissante avec le privilège supplémentaire d'avoir été initié à une particularité historique passionnante et encore mal connue et également une envie brusque de relire Gogol.
A noter, le premier roman de Tove Alsterdal, Femmes sur la plage est disponible en Babel noir et le prochain devrait paraître en 2016, toujours chez Rouergue.