Pour ceux qui ne peuvent pas se rendre à l’exposition, il y a un beau livre — très complet. On y apprend, on y voit, on y lit Colette autrement. Les Mondes de Colette, dirigé par Émilie Bouvard, Julien Dimerman et Laurence Le Bras, n’est pas un simple album d’images : c’est un catalogue-essai qui accompagne, prolonge et éclaire l’événement de la BnF, ouvert au public jusqu'au 18 janvier 2026.
L’ouvrage rassemble près de 150 documents (manuscrits, photographies, livres illustrés, archives) et construit une traversée très pensée de l’œuvre. L’idée forte : montrer comment Colette, autrice majeure de la première moitié du XXᵉ siècle, échappe aux binaires — classique et moderne, morale et amorale, apolitique et féministe, libre et entravée — et comment son écriture mêle franchise sensuelle et précision d’observatrice. On retrouve la Colette moraliste sans moralisme, attentive aux gestes, aux corps, aux jardins, aux bêtes, et surtout à la condition des femmes, dans sa diversité concrète.
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La structure épouse les grands axes thématiques de l’exposition : masculin/féminin, nature, maternité, apolitisme (ou plutôt distance aux cadres partisans), arts visuels. Chaque section croise pièces originales et lectures critiques, pour situer les textes (de Claudine à La Naissance du jour, de Sido à Chéri) dans la vie et le siècle — un XXᵉ violent où l’indépendance se paie cher. Le livre réussit ainsi un double mouvement : montrer (les œuvres, les traces, l’atelier) et interpréter (les formes, les postures), sans écraser la nuance.
La direction scientifique garantit une tenue documentaire impeccable. Mais la vraie réussite tient à la polyphonie des voix : des spécialistes (parmi lesquels Julia Kristeva, Frédéric Maget, Bénédicte Vergez-Chaignon), des autrices (Mona Chollet, Wendy Delorme), des artistes (Mathieu Amalric, Juliette…) viennent réactiver Colette depuis des sensibilités contemporaines. Ce mélange savants/écrivains/performeurs donne un rythme et évite l’hommage compassé.
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Iconographiquement, le volume est généreux : fac-similés lisibles, cahiers photos soignés, légendes utiles (ni bavardes ni muettes). La mise en page claire permet de circuler entre documents et analyses sans perdre le fil ; on sent un souci pédagogique rare dans les catalogues d’exposition, qui penchent parfois vers l’inventaire. Ici, le récit ne se dissout jamais : la vie et l’œuvre dialoguent.
Sur le fond, le livre insiste sur la liberté de ton et la largesse d’esprit de Colette, mais il rappelle aussi ce que cette liberté doit à une discipline d’écriture : observation minutieuse, montage des motifs, économie des effets. Les pages sur la nature (plantes, animaux, météorologies) et sur la scène (danse, music-hall, cinéma) sont parmi les plus stimulantes, parce qu’elles montrent comment Colette pense par le corps autant que par les idées.
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À LIRE - Les Mondes de Colette : une vie hors du commun
Faut-il y chercher une héroïsation ou un procès ? Ni l’un ni l’autre. Le catalogue assume la complexité : les angles morts, les ambiguïtés, les contradictions — et c’est précisément ce qui le rend utile aujourd’hui. En miroir, nos débats (féminismes, écologies, écriture du réel) y trouvent matière plutôt que slogans. Un catalogue de référence, lisible, beau, pensé pour durer au-delà de l’exposition.
Que l’on vienne à Colette par la curiosité, par les textes ou par les images, Les Mondes de Colette offre le bon pas : marcher avec, regarder de près, et laisser la prose — toujours — faire son travail de lumière.