Quel est le point commun entre le speed-dating et le SMS ? Qu’est-ce qui peut, au Bon Dieu, rapprocher Michel Houellebecq de Google, ou encore du Botox ? Que partagent le 11 septembre 2001, les OGM et les bobos ? De prime abord, n’importe quel sondé répondrait à bon droit : « Ben, j’en sais rien, moi… » Et l’on ne saurait lui enlever cette pertinence caractéristique de l’ignorance consentie.
La réponse figure pourtant dans un simple livre où 57 farfelus ont récidivé là où Barthes avait innové : la recherche des sens quotidiens. Pas la banale quête d’un sens à la vie, au demeurant perclus dans les méandres de divertissements dont nous ne nous sortons plus. À ce titre, il ne sera pas inutile de relire Les people ou Le football roi, pour tenter de discerner ce qui nous procure cette fanatique adhésion au culte du délassement.
Parce que la sélection opérée touche à tous les domaines de notre vie. Que ce soit le GPS qui a remplacé Dieu, comme nouveau guide pour nos pas errants sous le soleil, le commerce équitable qui provoque tant de discorde dans les rayons des supermarchés quand les couples font leurs courses (« Mais si ! Je te dis que c’est immoral d’acheter cette marque alors que les producteurs colombiens tentent de vendre leur café dans la mondialisation! ») ou la gariguette qui pousse autant sur les étals de maraichers que sur les spots publicitaires en période estivale…
Mais peut-être préférerez-vous percer à jour ce mystérieux Wifi qui nous entoure progressivement, comme un maillage invisible et pourtant indéniable de lien entre Internet et nous… D’ailleurs, quitte à chercher la petite bête, on se penchera avec délectation sur le SMS (ou alors on reprendra avec bonheur la critique que nous faisions de Mauvaises Langues).
Il serait complexe d’aborder dans le détail tout ce que Nouvelles Mythologies propose d’analyser, car en fait la tâche ne présente aucun intérêt. Si, si, croyez-moi, l’entreprise se voue naturellement à l’échec. Alors, un inventaire à la Prévert des participants s’impose ? Non, pas plus. Et puis surtout, j’ai la flemme. D’autant que pour beaucoup, les textes ont été publiés dans le Nouvel Observateur en mars 2007, dans un dossier éponyme, toujours dirigé par Jérôme Garcin.
57 farfelus qui décortiquent notre « contemporanéité », 57 textes qui font parler les êtres, les objets, les événements ou du moins notre modernité, fournissant autant de grilles d’analyses qui élargissent la vue courte sur pas mal d’éléments auquel nous ne prêtons qu’une attention limitée, quand elle n’est pas inexistante. Impossible à résumer, cet ensemble d’analyses « objectives » ne recueillera pas forcément un assentiment universel et c’était bien là le risque d’une pareille aventure.
Récidiver sur ce que Barthes avait, seul – et là réside la différence majeure – constitué comme une œuvre d’analyse pétrie des critères de son auteur comportait une difficulté implicite. Celle de la multiplication des points de vue. Oh, évidemment ! Cette profusion favorise l’émulation, et l’on ne se sent pas prisonnier d’un seul raisonnement (lequel était notablement façonné et construit contre le « bourgeois » qu’il fut petit ou de taille normale). Mais le charme de cet exercice se dissipe un peu sous les styles et les attaques des différents participants.
Finalement, Nouvelles Mythologies, c’est autant de petites fenêtres (des Windows ?) qui s’ouvrent sur le vaste monde et que l’on ouvre à loisir pour sonder d’un bref coup d’œil ce monde qui est le nôtre. Avec l’inconvénient inverse de n’être que des fenêtres, dont le cadre ne permet pas de saisir la globalité. Une sorte d’addition de torchons et de serviettes qui ne donnera jamais qu’une grosse panière de linge sale… Bref, des textes brefs, incisifs ou nonchalants, qui font sourire parfois ou réfléchir un peu, mais autant de petits exercices de style qui décryptent, sans prétention ni fioritures.
Belle impasse en somme pour l’humble chroniqueur à qui se refuse le résumé usuel, et qui en donnant son avis sur l’ouvrage ne manquera pas de tomber dans une autre mythologie, celle de la pensée unique (décrite p.88, avec beaucoup de saveur) ou peut-être pire : celui de la critique littéraire.
Car si les Nouveaux amoureux qui délaissent les bancs publics au profit des rames de métro pour étaler leur amour comme on entraîne avec soi un complice dans le crime, que Kate Moss, la femme muette, dispose d’une image parlant bien plus que l’être de chair et d’os (quoique, plus dos que de chair diraient certains…) ou que le Tailleur de Ségolène dresse l’ex-future première présidente d’une coupe « de bourgeoise branchée », tous cela n’appartient déjà plus qu’à un seul monde : celui de la carte postale sociologique.
Quand Barthes analysait son univers, il créait concomitamment toute une série de figures figées dans leur siècle, des cartouches de hiéroglyphes passés à la Pierre de Rosette barthésienne et lancée vers le futur. Des marques, des jalons, des repères qui fixent une époque et mettent en relief certains de ces aspects pour les générations futures.
En ce sens, Mythologies devrait se réécrire perpétuellement. Cette construction d’aperçus du monde est en constante évolution, en reconstruction permanente. Et puis la mythologie, c’est ce qui reste des temps passés, sublimé au possible et hissé au rang mythique de souvenir...