Olivier Balez, illustrateur désormais en terre chilienne mais bien connu du public français, a illustré il y a de cela quelques mois maintenant un album très fort, très engagé et oh combien actuel écrit par Thierry Lenain : . (Ed. Albin Michel)
Je n'ai hélas pas eu la chance de le rencontrer ou de me faire payer un petit séjour au Chili mais j'ai pu lui poser quelques questions concernant son travail, la situation du livre de jeunesse au Chili et son point de vue sur la littérature jeunesse française actuelle.
Le fait d'habiter au Chili a t-il influencé votre façon de travailler ?
Non, cela n'influence pas mon travail, ou du moins pas encore si ce n'est la manière de travailler avec les longues distances.
Depuis mes séjours à l'étranger (que ce soit l'Australie il y a 10 ans ou le Chili aujourd'hui), j'ai développé une technique de travail à l'ordinateur, en numérique, qui me permet de me rapprocher de la sérigraphie et qui facilite grandement les envois ! sans la crainte que les illustrations s'abîment ou se perdent…
Sinon, en observant le marché local chilien, je suis tenté de proposer des projets d'édition ou de presse sur des thèmes qui manquent cruellement ici. Notamment lié à leur histoire on oublie trop vite certaines choses. Alors, je réfléchis à des idées pour des scénarios de bande dessinée… mais pas de livre jeunesse.
Comment vous appropriez-vous les textes que l'on vous soumet ?
En les lisant, j'espère avoir un « coup de cœur » parfois, le texte peut être très beau mais si je ne me vois pas faire les illustrations, alors je préfère refuser.
Sinon, quand je suis séduit et que des images apparaissent à la première lecture, alors je le relis une deuxième fois en griffonnant des idées.
Et puis dans un troisième temps, je prends du recul face à ces esquisses pour dégager un lien graphique, un parti pris qui soit le plus possible au service de l'histoire : celui-ci se dégage généralement en déroulant le fil de l'histoire sous forme de « chemin de fer », c'est-à-dire de petites illustrations en miniature qui permettent d'avoir une vue d'ensemble …et de corriger très vite si cela ne convient pas.
Parallèlement à ces étapes, je me documente si c'est nécessaire les photos, vidéos, textiles, affiches vont constituer un matériel graphique qui sera d'une grande aide pour la réalisation finale.
Pourquoi avez-vous accepté d'illustrer le très bel album Moi, Dieu Merci, qui vit içi ? Comment avez-vous travailler ce texte très fort de Thierry Lenain ?
À l'origine, c'est Thierry qui m'a transmis son texte directement pour savoir si cela m'intéressait de l'illustrer comme on avait déjà fait « Wahid » ensemble chez Albin Michel et que cela c'était vraiment très bien passé, il a pensé à moi.
Dès la première lecture j'ai été séduit et j'ai réalisé une image qui me semblait emblématique de l'histoire, celle de Dieu merci en prison avec l' « esprit » de son grand père. Puis, en accord avec Thierry, j'ai envoyé ce dessin accompagné du texte à Lucette Savier, éditrice chez Albin Michel jeunesse.
Là-bas aussi, ils ont été convaincu du projet et à partir de ce moment-là, on a mis en place un « rétro planning » pour définir les dates de rendus des esquisses et des images finalisées…
À ce moment, j'avais un long travail de bande dessinée à terminer qui devait m'occuper encore sur plusieurs mois et un déménagement pour m'installer au Chili ! heureusement la programmation de publication de l'album dieu merci était assez lointaine : j'avais plusieurs mois devant moi.
J'ai donc travaillé en trois étapes tout au long de cette année 2006-2007:
- Le travail du chemin de fer ou story-board qui permet de définir un principe de mise en scène (en ce cas, c'était les « volutes graphiques » évocation du Grand-père de Dieu merci qui servaient de fil conducteur)
- Amasser de la documentation (en arrivant au Chili, j'ai rencontré une française qui m'a fait profiter de tissus angolais qu'elle avait, ainsi que des photos ou cartes postales)
- La réalisation définitive et au format des images intérieures.
Le travail le plus intéressant à mon goût est la première partie : cet échange entre l'auteur, l'illustrateur et l'éditeur, où quand la confiance est là, ce va et vient de propositions/suggestions permet de donner une dimension supplémentaire au texte
C'était aussi toute la difficulté : ce texte pouvait fonctionner sans aucune image, comme un slam à clamer. Mais heureusement, les très bons textes permettent souvent de développer des parties restées dans l'ombre. Je me suis donc intéressé à ce qu'il y avait entre les lignes. Un peu comme un instrument de musique qui vient apporter une sonorité supplémentaire en respectant la rythmique. Je suis pas du tout musicien, mais cette notion de rythme en édition me paraît importante.
C'est ce que je m'efforce de faire dans mon travail : dégager la rythmique d'un texte pour l'accompagner en créant des surprises, des contretemps, des silences mais sans jamais trahir le fond.
Sur le site de Thierry Lenain, (http://thierrylenain.hautetfort.com/ ) on apprend qu'il y a eu pas mal de discussion autour de la couverture de votre dernier album : Moi, Dieu merci, qui vit ici. Avez-vous pu prendre part à cette discussion ?
Bien sûr, j'étais au cœur de tout cela. La difficulté résidait dans le fait qu'il s'agissait d'un texte fort, violent parfois et qu'il s'adressait aux enfants. Il y avait à la fois une logique, disons commerciale, de ne pas rater « sa cible », ou autrement dit de ne pas effrayer le public ET dans le même temps, ne pas trahir le fond de l'histoire et être « percutant ».
Je pense que les deux idées fonctionnaient même si pour Thierry, celle qui a été choisie ne traduit pas ce qu'il voulait. C'est toujours très embêtant pour moi de ne pas réussir à convaincre l'auteur sur une couverture.
Peut-on vous qualifier ou vous qualifiez-vous vous-même d'illustrateur engagé ?
Non, je ne me sens pas illustrateur engagé même si certaines causes m'ont fait descendre dans la rue, adhérer à des associations ou proposer mes services pour une bonne cause.
C'est pourquoi, quand l'occasion se présente, certains textes de Thierry me donnent la possibilité de ne pas rester sans rien faire face aux problèmes de notre société. Là, je suis vraiment très heureux de pouvoir accompagner cette voix qui parle tellement mieux que moi de certaines injustices qui font mal.
Quel est le déclencheur pour accepter de travailler sur un texte ou sur un projet ?
Le contexte d'abord si je suis sur un autre travail accaparant, je peux malheureusement laisser passer un beau texte. Sa qualité ensuite, ou du moins, s'il me fait réagir, sa musicalité. Enfin, si l'univers abordé me tente, ou s'il me permet de réaliser des images éloignées de ce que j'ai l'habitude de faire, comme un défi à relever.
Il vous est arrivé de travailler uniquement pour une couverture de roman (comme par exemple pour Piste noire de Christine Beigel ). Comment travaillez-vous dans ce cas précis ?
Oui, je fais beaucoup de couvertures de livre, de romans ou d'essais, c'est un exercice que j'adore même si parfois c'est très difficile compte tenu des nombreux avis qu'il faut savoir concilier.
En général, l'éditeur me donne un résumé ou le texte entier à lire et je lui fais des propositions. Pour Christine, j'étais en voyage « de reconnaissance » au Chili pour un mois, grâce à internet j'ai pu travailler sur ce livre en proposant une seule image qui a convaincu tout de suite. On m'a juste demandé de proposer une harmonie de couleur différente.
Vous qui avez un regard extérieur à la production de jeunesse française actuelle, quelles critiques auriez-vous à formuler ?
Ben pas vraiment de critique dans le sens où je trouve ce secteur étonnement dynamique avec une production incroyable notamment en matière de magazine pour la jeunesse, c'est inouï ! En France, on a de la lecture pour tout les goûts, tous les âges. Du coup, le défaut de cette richesse c'est le danger de la surproduction qui menace très certainement nos métiers.
Mais vu d'ici, du Chili, les illustrateurs nous envie cette diversité en jeunesse… et les prix des livres car ici ils sont encore beaucoup plus chers à cause de l'importation mais aussi d'une TVA locale terriblement élevée.
Comment se porte le secteur jeunesse au Chili ? (en plein essor, en développement, en crise…) ?
La dictature a détruit quasiment toute forme de culture. De manière absolument radicale… et presque définitive !
Cependant, des auteurs chiliens me confirment ce que j'observe depuis un an : on trouve plus de choix en matière de livres pour la jeunesse.
C'est un secteur où il y a tout à faire, tout à reconstruire.
Et c'est ce qui se produit ces dernières années : une accélération de production de livres jeunesse en cohérence avec un intérêt certain du public, des libraires, de la presse et du gouvernement.
Il reste aussi de nombreux progrès à faire quant au statut d'auteur sur le plan professionnel et sa reconnaissance.
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Dans quel genre de projets aimez-vous vous investir ?
Je trouve très motivant de développer des projets d'éditions ici au Chili parce qu'il manque des choses comme je viens de le dire.
Côté français, je suis heureux de consolider ma collaboration avec Thierry Lenain, (déjà 5 livres ensemble) car j'ai le sentiment d'être exigent pour ses textes et en règle générale, ils ont un bel accueil – ce qui fait toujours plaisir.
Enfin, j'aime bien être là où on ne m'attend pas.
J'ai besoin de me surprendre, et j'ai remarqué qu'en évitant de me répéter, mon travail était de meilleure qualité. Je m'efforce donc de continuer dans cette voie-là…
Quel auteur/ illustrateur chilien voudriez-vous faire connaître à nos lecteurs francophones ?
Le collectif 7 rayas, un groupe d'illustrateurs chiliens qui se sont regroupés pour démarcher ensemble non seulement ils sont doués et très sympas, mais en plus ils me rappellent la création des dents de la poule 10 ans auparavant à Paris (avec Fred Bénaglia, Laurent Richard et Vincent Bourgeau) qui furent de bien belles années !
http://www.sieterayas.cl/
http://lesdents.nerim.net/