Dans la Pharmacie du Lion où officie son père, un jeune garçon sent monter en lui le besoin de maitriser ces substances dont il observe la manipulation précautionneuse et de délivrer aux clients les décoctions qui leur ont été prescrites et qu’ils viennent chercher.
Entre les enseignements préliminaires de son père (« tu travailleras comme apprenti les soirs, les dimanches et le jours fériés »), le latin et l’arithmétique qu’il continue à apprendre à l’école (« …tu feras de ton mieux pour suivre les cours »), la douce présence de sa mère (« l’étoile (…) n’est pas une étoile mais la planète Vénus"), le jeune garçon trouve encore force et patience pour s’occuper de ses neuf frères et sœurs qu’il entoure d’attention et de son affection tout en déployant des trésors de subtilité pour leur apprendre à parler.
Les parents disparus, c’est lui qui va prendre la relève à la pharmacie tout en conservant près de lui ses frères et sœurs qu’il occupe comme assistants à ses côtés.
Des assistants que n’attirent que certains côtés bien particuliers du métier de pharmacien…
La composition de ce roman est obsédante : écrit par tout petits paragraphes de quelques lignes seulement, il laisse en suspens tout ce qui peut se passer entre deux et oblige le lecteur à faire preuve d’une immense imagination pour arriver à combler les vides délibérément laissés.
Tout est esquissé, commencé, entamé. Rien n’est jamais véritablement terminé, complété, mené à son issue finale.
Et pourtant, la ligne discontinue est suffisamment visible et marquée pour ne pas être perdue dans cette narration à la fois hachée et ininterrompue.
Le fil rouge, c’est le sentiment de responsabilité du grand frère à l’égard de la fratrie né quand, étant le plus âgé, c’est lui qui devait montrer le chemin. Mais ce sentiment se transforme rapidement en contrôle obsessionnel interdisant aux cadets et cadettes toute initiative, toute prise de liberté, tout éloignement, toute tentative pour échapper à la dépendance.
Rien, en dehors de son travail, déterminant et obsessionnel aussi, ne peut détacher l’ainé du rôle qui lui a été abandonné par ses parents : être le guide. Et il fait souvent penser à la cane qui mène ses petits canetons derrière elle, sans les quitter d’un œil, avec attention et fermeté, avec maternité et intransigeance. Mais, lui, ne laisse aucun de ses frères et sœurs prendre ni le large, ni sa liberté. Ne s’accordant à lui-même aucune liberté, aucune déviation en dehors du chemin tracé, dès l’origine, par le « Code Pharmaceutique ».
Ses sentiments sont complètement écrasés par ses principes, ses responsabilités. Il ne laissera jamais les premiers prendre le pas sur les seconds.
Jusqu’à la dernière page, le roman de est une surprise. Agréable et fine. Même si la rigueur, la raideur même du grand frère est parfois incompréhensible voire dérangeante.